🫏 Explication De Texte Durkheim De La Division Du Travail Social

Dela division du travail social (1893) La table des matières du livre Introduction La Préface de la première édition La Préface de la seconde édition Une édition électronique réalisée à partir du livre d’Émile Durkheim (1897), De la division du travail social.Paris: Les Presses universitaires de France, 8e édition, 1967, 416 pages. 3Émile Durkheim, De la division du travail [1893], Paris, P.U.F., 1973. Il s’agit du chapitre II du ; 4 Ibid., p. 369.; 5 Ibid., p. 368.; 2 Durkheim n’est pas, à l’évidence, un sociologue de la stratification sociale. Dans La division du travail social, le thème de l’inégalité sociale occupe cependant une place privilégiée dans le traitement d’une de ses problématiques Durkheimdans ce texte nous expose deux sortes de solidarité positive, l'une qui dérive des similitudes, l'autre de la division du travail. Il distingue par la suite deux types de solidarité sociale. L’une mécanique dans laquelle les individus sont semblables et partagent la même conscience commune sans spécialisation des tâches et l’autre organique dans laquelle les 3 Les causes du développement de la division du travail Selon Durkheim, les causes du développement de la division du travail ne sont pas économiques mais sociales (RAPPEL : « il faut expliquer un fait social par un autre fait social »). En l'occurrence, c'est l'accroissement de la densité matérielle et morale de la société qui induit Conclusionde la division du travail social : notre premier devoir, pour Durkheim, c'est de nous faire une morale. Il est nécessaire que les sociétés modernes se donnent un socle de valeurs partagées, composées des valeurs héritées des Lumières, de la Révolution française, de la confiance en la science, etc. Durkheim est à la fois Pourl’explication de texte, on retrouve la morale, la sociét DURKHEIM, De la Division du travail social (1893) sujet-philosophie-bac-general-2021-metropole. Les corrigés du bac de philo. Afin que tu puisses te faire une idée des réponses attendues, nos professeurs certifiés ont réalisé la correction des quatre sujets de philosophie de terminale générale sous 2La présente étude représente une tentative de penser la tension qui existe au sein de groupes religieux musulmans entre la fidélité à un idéal de paix et la prise en compte des conditions historiques. Elle se divise en deux grandes parties. La première est consacrée à l’islam des origines. Je présente tout d’abord l’idéal coranique de paix à travers une analyse du champ DIVISIONDU TRAVAIL SOCIAL (DE LA), 1893. Émile Durkheim - résumé de l'oeuvre « Ce qui fait la valeur morale de la division du travail [], c'est que, par elle, l'individu reprend HomePage Explication De Texte émile Durkheim De La Division Du Travail Social. Explication De Texte émile Durkheim De La Division Du Travail Social Page 7 sur 32 - Environ 311 essais sociologie 46732 mots | 187 pages rapports de l'histoire et de la science sociale d'après Cournot. Théories sur la division du travail. (1925) Un document produit en EO6d3h. Pour Durkheim, la moralité ne peut être que sociale, car les individus ne possèdent pas de moralité antérieure à l'état de la société. Dans quelle mesure la morale fait-elle partie intégrante du fait social et participe à la bonne relation entre les individus ? Pour commencer, nous verrons que la société est conçue et est à l’origine de cette vision de la moralité qui façonne les relations sociales. Puis, nous étudierions la moralité comme l’exercice d’un ensemble de règles pour préserver la bonne entente entre les différents membres. I. La morale, une interprétation sociale et culturelle La conception de la société de Durkheim fait de la vie sociale un phénomène essentiellement moral. Pour Durkheim, partout où il y a société, il y a altruisme et, par conséquent, vie morale chaque peuple a sa morale ». Notre comportement proprement social n'est pas seulement orienté vers la satisfaction de nos intérêts et ne fait pas des autres un moyen d'arriver à nos fins. Cela ne signifie pas que les conflits n'existent pas dans la société, mais que leur source est le monde intrinsèquement non régulé des intérêts économiques, un monde que la société, dans des conditions normales, tend à réguler[1]. La vie sociale exige de nous des sacrifices et des renoncements, mais le groupe a un tel prestige et une telle autorité que nous accomplissons nos devoirs motivés par le sentiment d'obligation, le sens du devoir et non la crainte des sanctions agir moralement, c’est faire son devoir ». L'application de cette vision de la société au monde moderne oblige Durkheim à remettre en question la vision de la société présente dans l'économie classique. Durkheim doit montrer qu'il ne suffit pas, pour rendre compte de la cohésion que présente la société moderne, de la considérer comme le résultat d'une myriade d'actions égoïstes, dans lesquelles les individus agissent guidés par la seule maximisation de leurs intérêts limité par les autres exigences de notre nature ». C'est contre cette vision, prédominante dans l'économie classique et le libéralisme, que Durkheim se retourne dans la division du travail social[2]. Son idée est que la division du travail n'est pas seulement un phénomène économique, comme le voudraient les économistes, mais un phénomène social et, par conséquent, un générateur de liens de solidarité. La division du travail ne génère pas seulement une interdépendance objective, dans le sens où, dans une société où le travail social est divisé, nous dépendons les uns des autres pour la satisfaction de nos intérêts. Durkheim veut aller au-delà de cette idée, déjà dûment explorée par les économistes classiques. La division du travail aurait un effet beaucoup plus important, atteignant les couches les plus profondes de la conscience morale en plus de pousser les hommes à s'entraider, qu'ils le veuillent ou non, elle les pousse à se respecter mutuellement, générant un système d'obligations morales. En participant à la division du travail social, chaque membre de la société ressent l'importance des autres, comprend que personne ne se suffit à lui-même et qu'ils font tous partie d'un tout plus grand. C'est cet effet moralisateur que Durkheim souligne dans sa réaction à l'interprétation économique de la division du travail, qui mettait beaucoup plus l'accent sur les aspects matériels, comme l'augmentation de la productivité. La religion, selon Durkheim, serait la représentation de la société idéalisée elle-même, elle est le produit de la vie collective réglementation impérative ». Pour lui, les croyances état des opinions et des représentations et les rites comportements seraient des phénomènes religieux, qui établissent les normes de conduite individuelle et collective et qu'il classe en deux catégories le sacré et le profane. La théorie morale de Durkheim est particulièrement originale, car elle se caractérise à la fois par le rejet des préceptes moraux a priori et par le recours au raisonnement logique et abstrait pour la construction des systèmes éthiques. Au contraire, partant de l'idée que la société est un ensemble d'interactions et de représentations sociales historiquement et socialement élaborées, il affirme que l'origine de la morale, les phénomènes et les faits liés à la morale sont fondamentalement situés dans la société elle-même, de sorte que c'est en elle que doivent être trouvées les catégories fondamentales pour l'analyse sociologique de la morale. Selon les propres mots de Durkheim, c'est la société qui institue la moralité, car c'est elle qui l'enseigne[3]. Même si l'on suppose qu'il est possible de démontrer la vérité morale en dehors du temps et de l'espace, pour que cette vérité morale devienne une réalité, il faudra qu'il y ait des sociétés qui puissent s'y conformer, qui la sanctionnent et qui en fassent une réalité. Pour que la justice que nous demandons existe, il faut qu'il y ait des législateurs qui la fassent pénétrer dans les lois. La morale n'est pas une affaire de livres ; elle jaillit des sources mêmes de la vie et devient un facteur réel dans la vie des hommes. Elle n'existe que dans la société et par la société[4]. II. La morale, un instrument au service de la paix sociale Ainsi, Durkheim comprend que chaque société, au cours de son histoire, crée ses propres règles morales qui, considérées comme un système, sont profondément distinctes des autres ensembles moraux des autres sociétés. Cela signifie que chaque société, prise individuellement, est la genèse de ses principes moraux. De plus, selon la théorie de Durkheim, pour analyser les phénomènes moraux, le théoricien de la morale, en tant que sociologue des moeurs, doit prendre en considération l'historicité des moeurs. C’est notamment le cas de l’institution religieuse. La religion s'articule donc autour d'une morale qui régit la vie des individus en même temps qu'elle est considérée comme nécessaire et indispensable. Dans la conception des hommes, le sacré et le profane seraient des genres incompatibles, assumant une position dualiste. L'utilisation de ces idées de sacré et de profane ordonne le comportement des individus et de la collectivité, à la recherche d'une cohésion sociale et d'une plus grande solidarité entre les individus[5]. Les cérémonies religieuses seront fondamentales pour maintenir la solidarité, car ces cérémonies établissent une plus grande proximité entre ses membres, permettant un meilleur contact. Ce n'est que lorsque "les passions sont contenues" qu'elles peuvent s'harmoniser avec les facultés et être satisfaites. En bref, la moralité est tout ce qui est source d'intégration. La fonction essentielle des règles morales est de "réguler la conduite", d'éviter la guerre de tous contre tous qui mène à l'absolutisme de tels troubles ». L'individu qui adhère fermement au corps social partagera les idées qui composent cette société. Où le respect des valeurs du sacré et du profane permettra de maintenir la solidarité et aussi de réprimander ceux qui ignorent ces règles. L'environnement social imprime aux individus des idées et des sentiments favorables à la préservation de la société, une morale pour la société. Il existe des liens invisibles qui nous lient au groupe dont nous faisons partie et font de nous ses "instruments dociles". Prendre conscience de "cette subordination nécessaire" est la "meilleure direction" à prendre. Or, dans les sociétés complexes, dans la même mesure où il existe différents groupes, il existe des morales différentes et qui se chevauchent. Il existe une morale pour chaque classe et chaque profession, ainsi qu'une morale "véritablement nationale", commune à tout le peuple[6]. Toutes ces morales sont en conflit permanent. Mais il existe une instance qui assure l'ordre parmi ces éléments hétérogènes le droit régler notre vie temporelle ». De la même manière que la morale contraint chaque individu à participer à l'unité sociale, le droit établit les règles de la concurrence. " C'est le traité de paix qui met un terme provisoire à la guerre des classes il ne fait que traduire et sanctionner les résultats de la lutte ". Toute modification de la situation des éléments sociaux entraîne des changements dans l'ordre juridique, a un impact sur les consciences et donne naissance à une nouvelle moralité. La moralité découle du droit, mais le droit à son tour manque de force s'il n'est pas soutenu par la moralité, c'est-à-dire s'il ne "plonge pas ses racines dans le coeur des citoyens". Pour conclure, Durkheim affirme que la moralité consiste en la réalisation en nous de " la conscience collective du groupe dont nous faisons partie ". Ce groupe n'est pas l'ensemble de l'humanité, un collectif trop abstrait et impossible à appréhender pour l'individu, mais la société concrète dont nous faisons partie. Par conséquent, chaque peuple, à chaque époque particulière, a sa propre morale. Or, si l'on considère la question d'un point de vue historique, il existe deux formes principales de liens moraux. Dans les sociétés prémodernes, la conscience individuelle tente de s'identifier complètement à la conscience collective, c'est-à-dire aux idées et aux valeurs acceptées par l'ensemble de la communauté. Il s'agit d'une solidarité mécanique. Les sociétés modernes, en revanche, "ne peuvent être maintenues en équilibre que si le travail est divisé" ; cela génère une solidarité organique, qui relie des individus très différents les uns des autres. [1] Boudon, R. 2006. Nouveau Durkheim ? Vrai Durkheim ? Durkheimian Studies, 121. [2] Juan, S. 2019. Durkheim et la sociologie française. D’hier à aujourd’hui French Edition. Sciences Humaines. [3] Fouillée, A. 2016. La Science des mœurs remplacera-t-elle la morale ? CreateSpace Independent Publishing Platform. [4] Lagrésille, H. 2012. Vues Contemporaines De Sociologie Et De Morale Sociale. Nabu Press. [5] Maleki, K. 2015. Durkheim et le mécontentement social. Sciences de la société, 94, 219‑232. [6] Müller, H. P. 2013. Société, morale et individualisme. La théorie morale d’Emile Durkheim. Trivium, 13. Introduction Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu’on nous permette l’expression, des faits sociaux totaux ou, si l’on veut – mais nous aimons moins le mot – généraux c’est-à-dire qu’ils mettent en branle, dans certains cas, la totalité de la société et de ses institutions potlatch, clans affrontés, tribus se visitant, etc. et, dans d’autres cas, seulement un très grand nombre d’institutions… » M. Mauss, Sociologie et Anthropologie, IIe partie Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », PUF, coll. Quadrige », 1989, p. 275. À part A. Gorz en France, en particulier Métamorphoses du travail. Quête du sens, Galilée, 1988 ; Vincent, Critique du travail, PUF, coll. Pratiques théoriques », 1987, ou certains auteurs qui se sont intéressés épisodiquement à l’histoire du travail voir par exemple A. Cotta, L’Homme au travail, Fayard, 1987, les auteurs sont surtout allemands et correspondent à des disciplines croisées – philosophie, sociologie, sciences sociales – qui sont regroupées sous l’appellation sciences de la société » et qui n’ont pas d’équivalent en France. J’appelle “idéologie” l’ensemble des idées et des valeurs communes dans une société. Comme il y a dans le monde moderne un ensemble d’idées et de valeurs qui est commun à de nombreuses sociétés, pays ou nations, nous parlerons d’une “idéologie moderne” en contraste avec l’idéologie de telle société traditionnelle », L. Dumont, Homo aequalis I, Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Gallimard, 1985, p. 16. L. Dumont emploie ici le terme d’idéologie dans son sens le plus tardif. Voir note 6 infra. Sciences de la nature et sciences de l’esprit se sont opposées, quant à leur méthode, à leur objet et à leur légitimité respectives, à plusieurs reprises, en particulier entre 1880 et 1914, puis du milieu des années 1950 au milieu des années 1960. Il s’agit de savoir quel est le statut des sciences de l’esprit vis-à-vis des sciences de la nature. Voir, pour ces controverses, W. Dilthey, Introduction à l’étude des sciences humaines. Essai sur le fondement qu’on pourrait donner à l’étude de la société et de l’histoire, PUF, 1942 ; M. Weber, Essai sur la théorie de la science, Plon, 1965, et, pour le xxe siècle et la querelle du positivisme entre Adorno et Popper, puis Habermas et Albert, De Vienne à Francfort. La querelle des sciences sociales, Éditions Complexe, 1979. Dès 1892, Frege, dans un article célèbre, propose que la valeur de vérité constitue la référence des assertions et des énoncés, qui ont par ailleurs un sens. Les Principia mathematica de Russell et Whitehead marquent le début du positivisme logique. La caractéristique majeure des auteurs qui se situent dans cette lignée, c’est d’éliminer du discours les phrases sans sens, comme celles dont est truffée la métaphysique, disent-ils. Comme l’exprime lapidairement A. Ayer dans Truth, Language and Logic 1936 Un énoncé est littéralement doté de sens si, et seulement si, il est vérifiable de manière analytique ou empirique. » Pour l’histoire de cette période, voir P. Jacob, De Vienne à Cambridge, Gallimard, 1980, et M. Canto-Sperber, La Philosophie morale britannique, PUF, 1994. La notion a considérablement évolué depuis les idéologues », dont Destutt de Tracy 1754-1836, Cabanis ou Volney, pour lesquels l’idéologie est la théorie de la constitution des idées à partir des sens, en passant par le moment marxien où l’idéologie est la représentation – fausse – que la société se fait d’elle-même Si, dans toute idéologie, les hommes et leur condition apparaissent sens dessus dessous comme dans une camera obscura, ce phénomène découle de leur procès de vie historique, tout comme l’inversion des objets sur la rétine provient de leur processus de vie directement physique », Marx, L’Idéologie allemande, in Œuvres, tome III, Gallimard, coll. La Pléiade », 1982, p. 1056. Voir la Lettre sur l’humanisme, écrite en 1946 par Heidegger pour se démarquer de l’existentialisme français et de l’utilisation qui était faite de sa philosophie en France, par Sartre notamment. Heidegger, Lettre sur l’humanisme, Aubier, 1989. L’école de Francfort est le nom donné à ce courant de pensée qui a rassemblé, de 1923, date de la création d’un Institut de recherches sociales à Francfort, à la fin des années 1970, des auteurs allant d’Adorno et Horheimer à Habermas, en passant par Marcuse, Fromm et Benjamin. Ils ont pour caractéristique commune d’être les héritiers critiques du marxisme et de revendiquer une approche non pas métaphysique mais critique des problèmes sociaux et politiques. Voir Vincent, La Théorie critique de l’école de Francfort, Galilée, 1976 ; Assoun, L’École de Francfort, PUF, coll. Que sais-je ? », 1990, pour une bibliographie plus complète. Par exemple les ouvrages de L. Dumont, assez lus dans ce milieu. Ose savoir », c’est le grand défi que Kant lance à l’homme. Selon Kant, l’homme est sorti de sa minorité, de l’obscurantisme, de la croyance aveugle en l’autorité ; il doit désormais se comporter en individu majeur en se conduisant selon sa raison. Voir E. Kant, Réponse à la question Qu’est-ce que les Lumières ?, GF-Flammarion, 1992. Chapitre premier. L’actuel paradoxe des sociétés fondées sur le travail Sur toutes les questions traitant des politiques de l’emploi et de la protection sociale, on pourra consulter pour plus de détails Join-Lambert, A. Bolot-Gittler, C. Daniel, D. Lenoir, D. Méda, Politiques sociales, FNSP/Dalloz, 1994. Les catégories à travers lesquelles sont appréhendés travail et non-travail n’ont pas été considérablement modifiées depuis la fin du xixe siècle. Voir N. Baverez, R. Salais, B. Reynaud, L’Invention du chômage, PUF, 1986. 12,6 % de la population active, 3,3 millions de personnes officiellement, 5 millions si l’on compte toutes les personnes à la recherche d’un emploi, sorties du marché du travail, en formation, en contrats très précaires. On consultera, pour avoir une idée des différents auteurs qui défendent depuis quelques années des positions assez proches sur le travail, les ouvrages et articles suivants A. Supiot, Critique du droit du travail, PUF, 1994 livre remarquable dont il sera fréquemment question ici ; A. Supiot, Le travail, liberté partagée », in Droit social, octobre 1993 et la réponse, D. Méda, Travail et politiques sociales », in Droit social, avril 1994 ; C. Dubar, La Socialisation, PUF, 1991 ; une série d’articles dans la revue Projet no 236, intitulée Le Travail à sa place et dans la revue Esprit no 204, août-septembre 1994, en particulier ceux consacrés à La France et son chômage, le partage du travail dans l’impasse » ; le rapport de l’Institut du travail intitulé Les Attitudes devant le travail, septembre 1993. Le Centre des jeunes dirigeants est une association de dirigeants d’entreprises qui a souvent pris des positions avancées en matière sociale. La citation est extraite d’un texte intitulé L’illusion du plein emploi », publié dans le numéro de janvier 1994 de la revue Futuribles. H. Bartoli, économiste et humaniste chrétien, a écrit en particulier deux ouvrages très lus à l’époque Science économique et travail, Dalloz, 1957, dont est extraite la présente citation, p. 49, et La Doctrine économique et sociale de Karl Marx, Seuil, 1947. Voir principalement J. Lacroix, Personne et amour, Seuil, 1956, et La notion du travail », in XXIXes Journées universitaires catholiques, Lyon, 1942 ; R. P. Chenu L’Homo œconomicus et le chrétien », in Économie et humanisme, mai-juin 1945, et La Théologie au xiie siècle, Paris, 1957 ; E. Mounier, Le Personnalisme, Seuil, 1949 ; J. Vialatoux, La signification humaine du travail », Bulletin des sociétés catholiques de Lyon, juillet-décembre 1948, et H. Bartoli, Science économique et travail, op. cit., chapitre ii, Le travail catégorie finalisante ». Voir également la lettre encyclique Laborem exercens du souverain pontife Jean-Paul II, 1981, publiée in Jean-Paul II parle des questions sociales, Livre de Poche, 1994. Par exemple Un être n’est un être authentique, c’est-à-dire un être libre, que dans la mesure où il fait un effort laborieux. » R. Ruyer, cité par Bartoli. Le travail arrache l’homme à l’extériorité, il pénètre d’humanité la nature. Jailli de la nécessité, il réalise l’œuvre de la liberté et affirme notre puissance. […] L’acte ontologique du travail ne peut s’effectuer qu’en transcendant les bornes de l’environnement animal vers la totalité du monde humain le travail est l’acte ontologique constituant du monde. […] Le travail, c’est la vérité de l’idéalisme et du matérialisme, c’est l’homme au principe de la matière et c’est la conscience émergeant du vide vers la plénitude de la joie », Vuillemin, L’Être et le travail, PUF, 1949. A. Supiot, Critique du droit du travail, op. cit., p. 3. Y. Schwarz, Expérience et connaissance du travail, Messidor-Éditions sociales, 1988 ; du même auteur, Travail et philosophie, convocations mutuelles, Octares Éditions, 1992 ; et articles du même auteur, dans les nos 10 et 16 de Futur antérieur, consacrés au travail ; J. Bidet, auteur en particulier de Que faire du Capital ?, Méridiens Klincksieck, 1985, et de Marx et le marché essai sur la modernité, PUF, 1990, et codirecteur de la revue Actuel Marx. Voir aussi Le travail fait époque », Politis, no 7, p. 75 ; Vincent, op. cit., et codirecteur de la revue Futur antérieur, déjà citée. Politis, no 7, op. cit., p. 75. Science économique et travail, op. cit., p. 51 et 52. Le Traité de sociologie du travail, de G. Friedmann et P. Naville, A. Colin, 1972, qui a formé des générations de sociologues, commence ainsi Le travail est le trait spécifique de l’espèce humaine. L’homme est un animal social essentiellement occupé de travail. Le travail est le commun dénominateur et la condition de toute vie humaine en société. » Les auteurs se réfèrent à Bergson pour indiquer que le travail humain consiste à créer de l’utilité et à Mayo, pour qui l’homme, animal social et essentiellement occupé par le travail, ne peut s’exprimer et s’épanouir que dans la collectivité où il exerce son activité professionnelle ». Le titre de l’ouvrage de Sainsaulieu est également significatif dans L’Identité au travail, FNSP, 1977, il écrit S’il y a des identités collectives, c’est que les individus ont en commun une même logique d’acteur dans les positions sociales qu’ils occupent. » Voir en particulier p. 318 à 341. Nos sociétés ont instauré de nouvelles formes de sociabilité en inventant des solutions techniques à leurs problèmes d’organisation. […] Dès le début des années soixante, l’organisation était ainsi clairement désignée comme lieu d’implication très forte des individus dans un milieu humain complexe. La scène des rapports de travail habituellement envisagée sous le double angle des rapports fonctionnels de production et des rapports collectifs de lutte sociale acquérait ainsi une troisième dimension celle des échanges humains quotidiens de production, où le fonctionnel, l’interpersonnel et le collectif pouvaient, en se mêlant, contribuer à donner une nouvelle signification au monde du travail », ibid. C. Dejours, Entre souffrance et réappropriation, le sens du travail », Politis, no 7, p. 23. On lira aussi du même auteur, Travail usure mentale. De la psychopathologie à la psychodynamique du travail, Bayard, 1993. H. Bartoli, Science économique et travail, op. cit., p. 53 et 54. Ibid., p. 55. Le travail humain porte en lui la double exigence d’un épanouissement de la personne et de la communauté et d’une spiritualisation de la nature, mais il est l’occasion d’aliénations sans cesse renaissantes. […] L’appropriation privée des moyens de production et la présence d’hommes sans aucun avoir, la séparation du capital et du travail rendue inéluctable par la nécessité de la possession de gros capitaux pour le lancement d’une grosse affaire en temps de révolution industrielle, entraînent la double apparition d’une classe vendeuse et d’une classe acheteuse de travail. Le travail est ainsi ravalé au rang d’une marchandise objet de trafic », écrit Bartoli dans le même chapitre. Habermas, Le Discours philosophique de la modernité, Gallimard, 1988, p. 97. C. Offe, Le travail comme catégorie de la sociologie », Les Temps modernes, 1985, no 466, p. 2058 à 2095. Voir aussi, du même auteur, plusieurs articles dans le cahier spécial no 24 de la Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie, 1982, et un ouvrage codirigé par C. Offe, Arbeitszeitpolitik, Formen und Folgen einer Neuverteilung der Arbeitszeit, Campus, 1982. R. Dahrendorf, Im Entschwinden der Arbeitsgesellschaft », Merkur, no 8, 1980. B. Guggenberger, Wenn uns die Arbeit ausgeht [Quand le travail vient à manquer], Hanser, 1988. Chapitre II. Des sociétés sans travail ? P. Descola, cité par Chamoux, Sociétés avec et sans concept de travail remarques anthropologiques », in Actes du colloque interdisciplinaire Travail recherche et prospective », Pirrtem-CNRS, Lyon, décembre 1992, Groupe transversal concept de travail », p. 21, document ronéoté. Publié depuis dans la revue Sociologie du travail, hors-série, 1994. M. Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Gallimard, 1976, et Au cœur des sociétés raison utilitaire et raison culturelle, Gallimard, 1991. On lira également de P. Clastres, La Société contre l’État, Éd. de Minuit, 1986, en particulier le chapitre xi. B. Malinowski, Les Argonautes du Pacifique occidental, Gallimard, coll. Tel », 1989, p. 177. Ibid., p. 118. Ibid. M. Sahlins, L’Économie tribale », in M. Godelier, Un domaine contesté, l’anthropologie économique, recueil de textes, Mouton, 1974, p. 245. Les hommes rivalisent entre eux à qui ira le plus vite, à qui fera la meilleure besogne, soulèvera le plus de fardeaux pour amener au jardin de gros piquets ou transporter des ignames récoltées. […] En pratique donc, le jardinier ne tire aucun bénéfice personnel, au sens utilitaire, de sa récolte, mais la qualité et la quantité de sa production lui valent des éloges et une réputation qui lui sont décernés d’une manière directe et solennelle. […] Chacun dans sa propre parcelle expose le fruit de son travail à l’œil critique des groupes qui défilent devant les jardins, admirant, comparant et vantant les meilleurs résultats », in B. Malinowski, op. cit., p. 118. Ibid., p. 119. Aristote, Métaphysique, A, 2, 982b, Vrin, 1986. Quelques lignes plus haut, Aristote écrit Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance, et non pour une fin utilitaire. […] De même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin. » En particulier dans la République, livres III, IV, V. Aristote, La Politique, livre I, chapitres iii, iv, v, vi, Vrin, 1982. Ibid., livre VIII, chapitre ii. Ibid., livre III, chapitre v. Platon, Protagoras, 320c-322d, GF-Flammarion, 1967. Ibid. La vie de loisir a en elle-même le plaisir et le bonheur de la vie bienheureuse. Mais cela n’appartient pas à ceux qui ont une vie laborieuse, mais à ceux qui ont une vie de loisir, car l’homme laborieux accomplit son labeur en vue de quelque fin qu’il ne possède pas, mais le bonheur est une fin qui ne s’accompagne pas de peine, mais de plaisir », Aristote, La Politique, op. cit., livre VIII, chapitre iii. Ainsi Archimède s’est-il servi de certaines de ses inventions pour défendre sa patrie et non pas pour produire avec un effort moindre. Voir Schuhl, Machinisme et philosophie, PUF, 1947. Sur toute cette période, on pourra consulter les nombreux ouvrages de P. Vidal-Naquet et Vernant, en particulier Travail et esclavage en Grèce ancienne, Éditions Complexe, 1988 ; Mythe et Pensée chez les Grecs, Maspero-La Découverte, 1985 ; Mythe et société en Grèce ancienne, Maspero-La Découverte, 1974 ; voir aussi Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, coll. Agora », 1988. Voir également les nombreux ouvrages de M. I. Finley, dont Économie et société en Grèce ancienne, La Découverte, 1984, et Le Monde d’Ulysse, Seuil, coll. Points », 1990. On pourra compléter par H. Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’Antiquité, R. Laffont, coll. Bouquins », 1988, et Rostovtseff, Histoire économique et sociale du monde hellénistique, Robert Laffont, coll. Bouquins », 1989. Voir également les articles du Journal de psychologie normale et pathologique, années 1947, 1948 et 1955, en particulier l’article d’A. Aymard, L’idée de travail dans la Grèce archaïque », 1948. Cicéron, De Officiis. Voir la discussion qui suit l’article d’A. Aymard cité in Journal de psychologie normale et pathologique, op. cit., 1948. Sur toute cette partie, voir J. Le Goff, Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident, Gallimard, coll. Tel », 1991. Genèse, iii, 19, traduction L. Segond, Société biblique française. Ibid., ii, 2. Saint Paul, IIe Épître aux Thessaloniciens, 3, 10. Ibid., iii, 11-12. Saint Augustin écrit ainsi dans les Confessions Mais tout cela était presque le néant, étant encore complètement informe, et pourtant cela était apte à recevoir une forme […] Quant à cette terre même, votre œuvre, elle n’était qu’une matière informe, étant invisible, chaotique et les ténèbres régnant sur l’abîme. C’est de cette terre invisible, chaotique, de cette masse informe, de ce presque néant, que vous deviez former tout ce par quoi subsiste et ne subsiste pas ce monde muable », livre 12, chapitre viii. Nous vous exhortons, frères, […] à mettre votre honneur à vivre tranquilles, à vous occuper de vos propres affaires, et à travailler de vos mains, comme nous vous l’avons recommandé, en sorte que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux du dehors, et que vous n’ayez besoin de personne », IIe Thess., op. cit., iv, 11-12. Voir E. Delaruelle, Le travail dans les règles monastiques occidentales du ive au ixe siècle », Journal de psychologie…, op. cit., 1948. Les citations de saint Augustin sont extraites de la lettre CCXL, appelée Règle de saint Augustin et du De opere monachorum, que nous n’avons pas directement consultés. Règle de saint Benoît, chapitre xlviii, in Journal de psychologie, op. cit. Un des ouvrages essentiels pour mieux comprendre le rôle de la notion d’œuvres dans les religions catholique et protestante est évidemment L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Weber, Presses-Pocket, coll. Agora », 1990. Sur le rapport au temps qui va s’inverser, voir le texte de Benjamin Franklin cité par Weber p. 44, et sur les œuvres tout le chapitre ii Le Dieu du calvinisme réclamait non pas des bonnes œuvres isolées, mais une vie tout entière de bonnes œuvres érigées en système », p. 134. J. Le Goff, op. cit. Voir Métiers licites et métiers illicites dans l’Occident médiéval », in Pour un autre Moyen Âge, op. cit., p. 92. Ibid., p. 96. Cf. G. Duby, Les Trois Ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Gallimard, 1978. Saint Thomas, Somme théologique, question 77. Malgré tout, le travail ne fait pas l’objet d’une valorisation. Voir l’interprétation que donne Weber de saint Thomas dans L’Éthique protestante…, op. cit., p. 192 Pour lui, ce n’est que naturali ratione que le travail est nécessaire à la subsistance de l’individu et de la communauté… [La prescription] est valable pour l’espèce, non pour l’individu. » Surtout, l’idée de développer ses capacités, par exemple intellectuelles, pour les vendre, demeure inconcevable. Il n’en reste pas moins que le principe Deo placere vix potest est considéré comme ayant force de loi, de même que les paroles de saint Thomas qualifiant de turpitudo la recherche du profit. F. Brunot, Histoire de la langue française, tome VI, Ire partie, fascicule I, p. 1349. L. Febvre, Travail évolution d’un mot et d’une idée », in Journal de psychologie…, op. cit., 1948, p. 19-28. Ibid. Pour toute cette partie, voir également I. Meyerson, Le travail, fonction psychologique », in Journal de psychologie…, op. cit., 1955, p. 3-17. Chapitre III. Acte I L’invention du travail A. Smith, Recherches sur les causes de la richesse des nations, GF-Flammarion, 1991. B. Mandeville, La Fable des Abeilles, ou les vices privés font le bien public, publié en 1714, Vrin, 1974. B. Franklin, Advice to a Young Tradesman, cité in Weber, L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Presses-Pocket, coll. Agora », 1990, p. 46. Cf. C. Larrère, L’Invention de l’économie au xviiie siècle, PUF, 1992. Voir p. 36 et suivantes. Th. Malthus, Principes d’économie politique considérés sous le rapport de leur application pratique, Calmann-Lévy, coll. Perspectives économiques », 1969. Say, Traité d’économie politique, Calmann-Lévy, coll. Perspectives économiques », 1972. Le terme physiocrates » désigne un ensemble d’auteurs essentiellement français, dont Quesnay 1694-1774, Le Mercier de la Rivière 1721-1793, Turgot 1727-1781, Dupont de Nemours 1739-1817. Ils considèrent que seule la terre est productive, que seule la nature physis est capable de créer de la valeur, du surplus. L’industrie et le commerce sont, quant à eux, non productifs. Pour une analyse de leurs idées, voir C. Larrère, L’Invention de l’économie au xviiie siècle, op. cit. La manufacture d’épingles est prise comme l’exemple type du lieu où s’exerce à plein la division du travail. Un ouvrier, quelque adroit qu’il fût », pourrait peut-être à peine faire une épingle toute sa journée s’il était seul alors qu’à dix, et si chacun ne s’occupe que d’une opération particulière, chacun parvient à en faire quatre mille huit cents. Cf. Recherches…, op. cit., p. 72. Ibid., op. cit., p. 100. Ibid., p. 102. Ibid., p. 75. Ibid., p. 73. … qui ne se fixe ou ne se réalise sur aucun objet, sur aucune chose qu’on puisse vendre ensuite […] ses services périssant à l’instant même où il les rend », ibid., p. 418. Principes…, op. cit., p. 5. Il est évident que nous ne pouvons aborder, sous le point de vue pratique, aucune discussion sur l’accroissement relatif de la richesse chez les différentes nations si nous n’avons un moyen quelconque, quelque imparfait qu’il soit, d’évaluer la somme de cet accroissement », ibid. Ibid., p. 13 ; c’est nous qui soulignons. Ibid., p. 14. Locke, Traité du gouvernement civil, chapitre v, De la propriété des choses », § 27, GF-Flammarion, 1992, p. 163. Le Traité du Gouvernement civil a été publié en 1690. Tout ce qu’il a tiré de l’état de nature, par sa peine et son industrie, appartient à lui seul », ibid. La plus sacrée et la plus inviolable de toutes les propriétés est celle de son propre travail, écrit Smith, parce qu’elle est la source originaire de toutes les autres propriétés. Le patrimoine du pauvre est dans sa force et dans l’adresse de ses mains », Recherches…, op. cit., p. 198. Dans cet état primitif qui précède l’appropriation des terres et l’accumulation des capitaux, le produit entier du travail appartient à l’ouvrier. Il n’y a ni propriétaire ni maître avec qui il doive partager […] Mais cet état primitif, dans lequel l’ouvrier jouissait de tout le produit de son propre travail, ne put pas durer au-delà de l’époque où furent introduites l’appropriation des terres et l’accumulation des capitaux », ibid., p. 135-136. Et qui apparaissait d’ailleurs comme tel à un auteur comme Polanyi ; voir La Grande Transformation, Gallimard, 1983. Labor est le terme technique qui désigne les êtres humains du moment qu’ils ne sont pas employeurs mais employés », p. 111, et Weber, Histoire économique, esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société, Gallimard, 1991, en particulier le chapitre ix, La naissance du capitalisme moderne », § 1 concepts et présupposés du capitalisme. Pour distinguer les différentes formes d’utilisation de la main-d’œuvre en vigueur de la fin du Moyen Âge à la Révolution industrielle, voir Weber, Histoire économique…, op. cit., en particulier le chapitre ii. Voir ce que Camerlynck dit de Pothier dans Le Contrat de travail, Dalloz, 1982, et cette affirmation de Polanyi dans La Grande Transformation, op. cit., p. 242 Dans l’avènement du marché du travail, le droit coutumier a joué en gros un rôle positif. Ce sont les juristes, non les économistes, qui ont été les premiers à énoncer avec force la théorie du travail marchandise. » Le Traité du contrat de louage date de 1764. Voir Camerlynck, Le Contrat de travail, op. cit., chapitre i, p. 3 Le contrat de louage de services chez Pothier ». La loi Le Chapelier, qui date, elle, du 14 juin 1791, interdit toute coalition en s’inspirant ainsi très fortement de la condamnation que Rousseau avait portée contre les associations dans le Contrat social livre II, chapitre iii, 1762. Le rapporteur de la loi Le Chapelier indique Il faut remonter au principe que c’est aux conventions libres d’individu à individu de fixer la journée de travail pour chaque ouvrier, à l’ouvrier de maintenir la convention qui a été faite avec celui qui l’occupe. Quant au salaire, seules les conventions libres et individuelles peuvent le fixer. » Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », Code civil, article 1134. C’est par la convention qui se fait habituellement entre ces deux personnes, dont l’intérêt n’est nullement le même, que se détermine le taux commun des salaires. Les ouvriers désirent gagner le plus possible ; les maîtres, donner le moins qu’ils peuvent ; les premiers sont disposés à se concerter pour élever les salaires, les seconds pour les abaisser. Il n’est pas difficile de prévoir lequel des deux partis, dans toutes les circonstances ordinaires, doit avoir l’avantage dans le débat et imposer forcément à l’autre toutes ses conditions ; les maîtres, étant en plus grand nombre, peuvent se concerter plus aisément ; et de plus, la loi les autorise à se concerter entre eux, ou du moins ne leur interdit pas, tandis qu’elle l’interdit aux ouvriers… », Recherches…, op. cit., p. 137. Weber est d’ailleurs extrêmement prudent il ne prétend pas déduire » un phénomène historique d’une transformation des représentations. Voir L’Éthique protestante…, op. cit., p. 103-104. Weber s’attarde sur la notion de Beruf, qui signifie en allemand à la fois métier, tâche et vocation et qui a pris ce sens avec Luther. Le fait que le travail a été soudainement perçu comme une vocation, un devoir imposé par Dieu, n’est pas un produit de la nature. Il ne peut être suscité uniquement par de hauts ou de bas salaires. C’est le résultat d’un long, d’un persévérant processus d’éducation. » Weber tente de retrouver les grandes étapes qui ont conduit de la condamnation de l’ici-bas à sa valorisation. Voir en particulier p. 95 et suivantes et p. 123 et suivantes de l’Éthique protestante… C’est cette condamnation qui explique en particulier les hésitations de Malthus au début de ses Principes d’économie politique tous les moralistes, dit-il, nous ont bien enseigné qu’il fallait préférer la vertu à la richesse. Si la vertu constitue la richesse, pourquoi la fuir, etc. ? Cf. p. 11 et suivantes. A. Hirschman, Les Passions et les intérêts, PUF, coll. Sociologies », 1980, p. 15. Montesquieu, L’Esprit des lois, introduction. L. Dumont, Homo aequalis, op. cit. Voir Méditations métaphysiques, GF-Flammarion, 1979, et Les Principes de la philosophie, Vrin, 1970. Voir en particulier les Pensées, et, dans celles-ci, Ire partie L’homme sans Dieu », chapitre i La place de l’homme dans la nature les deux infinis » et chapitre ii Misère de l’homme », Le Livre de poche, 1962. Descartes, Discours de la méthode. F. Bacon, Du progrès et de la promotion des savoirs, Gallimard, coll. Tel », 1991 ; La Nouvelle Atlantide, GF-Flammarion, à paraître. Voir sur ce point les commentaires de H. Achterhuis dans La responsabilité entre la crainte et l’utopie », in Hans Jonas, Nature et responsabilité, Vrin, 1993. Cet auteur interprète la transmutation de la peur en enthousiasme à cette époque par la croyance subite dans les vertus du progrès et de la production La situation de rareté toujours menaçante où chacun se bat pour posséder les quelques biens disponibles pourrait être résolue par la production de plus de biens », op. cit., p. 43. Saint Paul, Épître aux Romains, xiii, 1, 2, 5. Hobbes écrit ses œuvres politiques entre 1640 et 1670. Voir Le Citoyen ou les fondements de la politique, GF-Flammarion, 1982, et le Léviathan, Sirey, 1971. Il faut également prendre en compte les travaux de l’école moderne du droit naturel, machine de guerre contre la conception classique du droit naturel. Grotius, Pufendorf, Burlamaqui en sont les principaux représentants. On trouvera une analyse de ces pensées dans R. Derathé, Rousseau et la science politique de son temps, Vrin, 1988. Les représentants de l’école moderne du droit naturel imaginent comme Hobbes une généalogie qui leur permet de distinguer un avant et un après, mais ils se donnent », à la différence de Hobbes, la sociabilité. Grotius et Pufendorf, en particulier, déduisent l’état civil de la sociabilité naturelle aux hommes. Ce avec quoi Hobbes, et plus tard Rousseau, rompent. Cf. C. Larrère, L’Invention de l’économie…, op. cit. C’est l’interprétation qu’en donne en particulier Hegel, voir infra chapitre ix. Il s’agit d’une autre manière de présenter le principe de raison, grâce à sa raison, l’individu trouve en lui-même le principe qui lui donne son unité, qui peut guider ses actions et les expliquer. Les théoriciens du contrat sont légion Grotius, Pufendorf, Burlamaqui, Hobbes, Locke, Rousseau sont les plus connus. Les théories du contrat admettent de nombreuses variantes. Voir R. Derathé, Rousseau et la science politique de son temps, op. cit., et Rousseau, Contrat social, op. cit., I, vi. A. Smith, Recherches…, op. cit., p. 82. Cf. Métaphysique λ, 7, 1072a 25-30 et 1072b 10-15, Vrin, 1986, p. 680. A. Smith, Recherches…, op. cit., p. 79. P. Rosanvallon, Le Libéralisme économique. Histoire de l’idée de marché, Seuil, coll. Points », 1989, et L. Dumont, Homo aequalis, op. cit., et Essais sur l’individualisme, Seuil, 1991. P. Rosanvallon, Le Libéralisme économique, op. cit., p. II-III La naissance du libéralisme économique […] doit d’abord être comprise comme une réponse aux problèmes non résolus par les théoriciens politiques du contrat social […] C’est le marché économique et non pas le contrat politique qui est le vrai régulateur de la société. » Rosanvallon explique ainsi que la régulation économique, caractérisée par l’automaticité des relations, succède aux explications plus politiques, qui auraient échoué. Nous ne partageons pas cette thèse. Il nous semble au contraire que les deux solutions vont continuer de se développer ensemble, ou du moins qu’il existe deux solutions parfaitement envisageables du même problème, et qui présentent des caractéristiques différentes. C’est parce qu’il ne fait pas cette différence que Rosanvallon se prive de mettre en évidence la considérable originalité de la pensée allemande du xixe siècle, en particulier celle de Hegel. Nous y reviendrons. Comité de mendicité de la Constituante, 1790, Premier rapport. Voir aussi Barthe, Pauvretés et État-providence », Revue française des affaires sociales, no 3, juillet 1991. Chapitre IV. Acte II Le travail, essence de l’homme Encyclopédie, article Travail », tome XVI, col. 567b, 1765. Sur ce bouleversement conceptuel, et en particulier sur le brutal changement de signification que subit le terme de travail dans les quinze premières années du xixe siècle, on pourra consulter I. Meyerson, Le travail, fonction psychologique », art. cit., p. 7 ; C’est au cours du xixe siècle – siècle d’une vie industrielle et sociale dense – que l’image psychologique du travail tel que nous le connaissons va se dessiner et se préciser. » L’idéalisme allemand n’est pas une école au sens propre, c’est un moment de l’histoire philosophique allemande, qui commence avec Kant et se termine avec les successeurs de Hegel. On parle à propos de la philosophie kantienne d’idéalisme transcendantal, car Kant démontre que notre connaissance des objets ne consiste pas en une réception passive mais en une construction dont nous sommes partie prenante à travers les formes a priori de la sensibilité et de l’entendement. Voir article Kant », in Gradus philosophique, L. Jaffro, M. Labrune éd., GF-Flammarion, 1994. De l’Absolu, il faut dire qu’il est essentiellement résultat, c’est-à-dire qu’il est à la fin seulement ce qu’il est en vérité. […] L’Esprit n’est jamais en repos, mais il est toujours emporté dans un mouvement continuellement progressif. […] La substance est essentiellement sujet, c’est ce qui est exprimé dans la représentation qui annonce l’Absolu comme Esprit seul le spirituel est effectif », Hegel, Phénoménologie de l’esprit, traduction J. Hyppolite, Aubier, 1941, p. 18-19. Ibid., p. 12. Il y a dans les philosophies de Fichte, Schelling et Hegel une véritable volonté de réduire au sens de faire disparaître » la nature, pour que rien ne résiste à la formidable puissance de l’Esprit, esprit de Dieu et esprit humain. C’est au même moment que Goethe parle de l’esprit qui toujours nie ». On pourra voir en particulier la Philosophie de la nature de Schelling. L’idée fondamentale est bien qu’il est incompréhensible que quelque chose », appelé la nature, puisse être, avoir été et continuer à être différent de et définitivement étranger à Dieu, qui est Esprit. Hegel, La Philosophie de l’esprit, 1805, PUF, 1982. Ibid., p. 32 Travail, instrument, ruse », et p. 53. Sur la première période de Hegel, voir P. Chamley, La doctrine économique de Hegel et la conception hégélienne du travail », in Hegel-Studien, 1965, et, du même auteur, Économie politique et philosophie chez Steuart et Hegel, Dalloz, 1963. De Hegel, voir Phénoménologie…, op. cit. ; Précis de l’Encyclopédie des sciences philosophiques, Vrin, 1970 ; Principes de la philosophie du droit, Vrin, 1982. Voir aussi J. Hyppolite, Introduction à la philosophie de l’histoire de Hegel, Seuil, coll. Points », 1983 ; K. Papaioannou, Hegel, Presses-Pocket, coll. Agora », 1987 ; E. Weil, Hegel et l’État, Vrin, 1974. Principes de la philosophie…, op. cit., § 198, p. 224. Ibid., § 245, traduction J. Hyppolite, in Introduction…, op. cit., p. 121. Principes de la philosophie…, op. cit., § 198 De plus, l’abstraction de la façon de produire rend le travail de plus en plus mécanique et offre aussi finalement à l’homme la possibilité de s’en éloigner et de se faire remplacer par la machine », p. 224. C’est ce que montre la structure même de l’Encyclopédie des sciences philosophiques, manuel qui comprend l’ensemble du système philosophique de Hegel et qui se présente en trois parties la logique, la philosophie de la nature et la philosophie de l’esprit. Cette dernière présente elle-même trois moments l’esprit subjectif, l’esprit objectif, l’esprit absolu. Le travail abstrait et industriel appartient au moment de l’esprit objectif l’Esprit s’est incarné dans des formes particulières et prend la forme de la moralité sociale, d’abord dans la famille, puis dans la société civile, et enfin dans l’État. Mais dans son moment le plus pur et le plus haut, lorsqu’il est esprit absolu, l’Esprit s’exprime par l’art, la religion et la philosophie. Marx, Ébauche d’une critique de l’économie politique, Communisme et propriété », in Œuvres, Économie, Gallimard, coll. La Pléiade », tome II, 1979, p. 89. Ce communisme est un naturalisme achevé, et comme tel un humanisme ; en tant qu’humanisme achevé, il est un naturalisme. Il est la vraie solution du conflit de l’homme avec la nature, de l’homme avec l’homme », op. cit., p. 79. Voir toute la page 61 de Ébauche…, op. cit., sur le travail aliéné et les fonctions animales. Ibid., p. 62. Ibid., p. 126. C’est exactement ici que s’opère le retournement majeur Marx se saisit du concept hégélien de travail, au sens de travail de l’Esprit, mais l’applique à l’homme Le seul travail que Hegel connaisse et reconnaisse, c’est le travail abstrait de l’Esprit », ibid., p. 126. Marx s’empare de ce concept de travail et fait de l’homme, de chaque homme, son sujet. Marx, Notes de lecture », in Économie et philosophie, Œuvres, Économie, tome II, op. cit., p. 22. Il y aurait là, si P. Chamley a raison, une sorte de régression de Marx vis-à-vis de l’avancée conceptuelle de Hegel. Il semble bien en effet que Hegel, qui a lu très tôt Locke, reprenne de celui-ci une conception énergétique et dynamique du travail l’homme met quelque chose de lui-même dans l’objet, ce qui est au fondement des hésitations de Smith et du choix de Ricardo pour la valeur-travail. Mais Hegel abandonnera, d’après P. Chamley, cette conception, et passera rapidement à cette autre idée fondamentale selon laquelle ce qui importe dans le travail n’est pas ce que l’homme met de lui-même dans l’objet, mais le fait que l’homme travaille pour obtenir de la reconnaissance, à travers l’échange. Notes de lecture », in Économie et philosophie, op. cit., § 17, Le travail lucratif », p. 27. Ébauche d’une critique…, op. cit., p. 63-64. Travail forcé, il n’est pas la satisfaction d’un besoin, mais seulement un moyen de satisfaire des besoins en dehors du travail. […] On en vient donc à ce résultat que l’homme n’a de spontanéité que dans ses fonctions animales le manger, le boire, la procréation […] et que dans ses fonctions humaines, il ne se sent plus qu’animalité ; ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal », ibid., p. 61. C’est la critique fondamentale de Marx contre l’économie politique elle fait semblant de considérer comme naturel ce qui n’est qu’historique ; cf., par exemple, Économie et philosophie, op. cit., p. 37, 44, 56, 67, 71, etc. Ibid., p. 72. Marx, Principes d’une critique de l’économie politique, Le travail comme sacrifice et le travail libre », in Œuvres, Économie, tome II, op. cit., p. 289. Considérer le travail simplement comme un sacrifice, donc comme source de valeur, comme prix payé par les choses et donnant du prix aux choses suivant qu’elles coûtent plus ou moins de travail, c’est s’en tenir à une définition purement négative. […] Le travail est une activité positive, créatrice », ibid., p. 291-292. Ibid., p. 305, commenté par Habermas dans L’idée d’une théorie de la connaissance », in Connaissance et intérêt, Gallimard, coll. Tel », 1991, p. 82. Principes d’une critique de l’économie…, op. cit., p. 303. Ibid., p. 310. On lira avec profit les pages qui précèdent et, notamment, p. 306 La réduction du temps de travail nécessaire permettra le libre épanouissement de l’individu. En effet, grâce aux loisirs et aux moyens mis à la portée de tous, la réduction au minimum du travail social nécessaire favorisera le développement artistique, scientifique, etc., de chacun. » Marx et Engels, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, Éditions sociales, 1981. Ibid., p. 154. Ibid., p. 32. Principes d’une critique de l’économie…, op. cit., p. 311. Ibid., p. 308. Le Capital, livre III, Conclusion, in Œuvres, Économie, tome II, op. cit., p. 1487. A. de Laborde, De l’esprit d’association dans tous les intérêts de la communauté, Paris, 1818, p. 3-4, cité in I. Meyerson, Le travail, fonction psychologique », art. cit. L’industrie comprend ainsi tous les genres du bien-être, elle réunit également tous les moyens de l’obtenir ; tout est de son domaine et participe à ses avantages. […] On pourrait la définir par l’intelligence, la sagacité dans le travail, la simplification dans la main-d’œuvre, la hardiesse dans les entreprises, le génie d’utilité de la société », ibid., p. 5. Ibid., p. 9. L’obligation est imposée à chacun de donner constamment à ses forces personnelles une direction utile à l’humanité. Les bras du pauvre continueront à nourrir le riche, mais le riche reçoit commandement de faire travailler sa cervelle et si sa cervelle n’est pas propre au travail, il sera bien obligé de faire travailler ses bras », Saint-Simon, Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains, Pereire, 1925, p. 41, cité in J. Dautry, La notion de travail chez Saint-Simon et Fourier », Journal de psychologie…, op. cit., 1955, p. 64. Saint-Simon, Introduction aux travaux scientifiques du xixe siècle, cité in J. Dautry, art. cit., p. 65. Ibid., p. 67. Le travail est d’ordre moral et humain, donné dans la conscience, avant même que la nécessité l’impose. En conséquence, il est libre de sa nature, d’une liberté positive et intérieure, et c’est en raison de cette liberté intérieure qu’il a le droit de revendiquer sa liberté extérieure, en d’autres termes, la destruction de tous les empêchements, obstacles et entraves que peuvent lui susciter le gouvernement et le privilège », écrit Proudhon in Œuvres complètes, Bouglé-Moysset, 1932, tome VIII, 3, p. 89, cité in I. Meyerson, Le travail, fonction psychologique », art. cit., p. 90. Que Proudhon ait beaucoup étudié ou non Hegel, en particulier par l’intermédiaire de Grün voir P. Haubtmann, Proudhon, Marx et la pensée allemande, PUG, 1981, p. 59 et suivantes, le résultat est que les deux penseurs tiennent à peu près le même discours, ou du moins que le schème du travail de l’Esprit chez Hegel est désormais également celui de Proudhon L’intelligence humaine fait son début dans la spontanéité de son industrie et c’est en se contemplant elle-même dans son œuvre qu’elle se trouve » I. Meyerson, art. cit., p. 11. L’homme, créateur à travers le travail Le travail, un et identique dans son plan, est infini dans ses applications, comme la création elle-même », détient ainsi un pouvoir presque magique de transfiguration du monde, dans quoi il trouve son bonheur Je me demande pourquoi la vie entière du travailleur ne serait pas une réjouissance perpétuelle, une procession triomphale. » Marx a insisté à de nombreuses reprises, en bon élève de Hegel, sur le caractère à la fois négatif et positif du travail abstrait moderne La dissolution de tous les produits et de toutes les activités en valeurs d’échange suppose la décomposition de tous les rapports de dépendance personnels figés historiques au sein de la production […] Dans la valeur d’échange, la relation sociale des personnes entre elles est transformée en un rapport social des choses, le pouvoir des personnes en un pouvoir des choses… », Principes d’une critique de l’économie…, op. cit., p. 208-209. Ces trois passions mécanisantes doivent être convenablement mélangées pour former des séries équilibrées. La papillonne, c’est le besoin de variété périodique, situations contrastées, incidents piquants… La cabaliste est la manie de l’intrigue. La composite, la plus romantique des passions, crée les accords d’enthousiasme cf. chapitre v. C’est à condition de savoir bien combiner ces passions que le travail pourra devenir attrayant. C. Fourier, Le Nouveau Monde industriel et sociétaire ou invention du procédé d’industrie attrayante et naturelle distribuée en séries passionnées, Flammarion, 1973. Ibid., p. 37. Sur ces évolutions majeures, voir H. Hatzfeld, Du paupérisme à la Sécurité sociale, PUN, 1989, et A. Soboul, Problèmes de travail en l’an II », Journal de psychologie…, op. cit., 1955, p. 39-58. Voir également F. Tanghe, Le Droit au travail entre histoire et utopie, 1789-1848-1989 de la répression de la mendicité à l’allocation universelle, Publications Fac. univ. St-Louis, 1989. Voir, du même auteur, Le droit du travail en 1848 », in Le Droit au travail, Institut des sciences du travail, dossier no 13, Université catholique de Louvain, novembre 1991. Turgot, cité par Tanghe, op. cit., p. 47. Rapport sur l’organisation générale des secours publics, présenté à l’Assemblée nationale le 13 juin 1792, Bibliothèque nationale, p. 9. L. Blanc, cité par Tanghe, op. cit., p. 61. Le droit considéré de façon abstraite est ce qui, depuis 1789, tient le peuple abusé. […] Le droit, stérilement et pompeusement proclamé dans les chartes, n’a servi qu’à masquer ce que l’inauguration d’un régime individualiste avait d’injuste », ibid., p. 64. Par le droit au travail, on crée en même temps un droit et une obligation. On suppose un contrat entre l’individu et la société, aux termes duquel la société devrait l’existence à chacun de ses membres, contrat non synallagmatique et qui n’engagerait qu’une des parties », L. Faucher, in J. Garnier éd., Le Droit au travail à l’Assemblée nationale, Recueil complet de tous les discours prononcés dans cette mémorable discussion, Paris, Guillaumin, 1848, p. 344-345. Tandis que l’État devrait fournir aux individus, sur leur demande, les moyens de travailler, il ne serait pas armé du pouvoir de les contraindre à chercher dans le travail leur subsistance habituelle. On proclamerait ainsi la supériorité de la force, du droit personnel sur le droit social. L’individu deviendrait le maître, le tyran, et la société, le serviteur, l’esclave. […] Le droit au travail est une servitude que l’on impose à la communauté tout entière, dans l’intérêt de quelques-uns », ibid. Ibid., p. 345-346. Lamartine, ibid., p. 286-287. L. Faucher, ibid., p. 350 ; L. Wolowski, ibid., p. 360. Cette ligne sépare les anciens tenants du travail-nécessité, conçu comme moyen de subvenir aux besoins, de ceux qui ont déjà assimilé l’idée que le travail est la plus haute manière pour un individu de se réaliser. Le premier droit de l’homme est le droit de vivre. Ce droit en implique un autre, celui de l’entier développement et du complet exercice des facultés physiques, morales et intellectuelles de l’homme ; c’est ce droit qui constitue la liberté », Manifeste des sociétés secrètes, in 1848 la révolution démocratique et sociale, Éditions d’histoire sociale, 1984. L. Wolowski, in J. Garnier éd., Le Droit au travail à l’Assemblée…, op. cit., p. 365. Proudhon, Mémoires sur la propriété, Premier mémoire, p. 215-217, in Œuvres complètes, Nouvelle Édition Rivière. Ibid. L. Blanc, Le Socialisme, Droit au travail. Réponse à M. Thiers, Paris, Bureau du Nouveau monde, 1849, p. 45-46. Cité par Humillière, Louis Blanc, Les Éditions ouvrières, 1982, p. 75. Habermas, La crise de l’État-providence », in Écrits politiques, Culture, droit, histoire, Cerf, 1990, p. 109-110. Cette phrase doit être replacée dans son contexte Habermas écrit quelques lignes plus haut Quant aux énergies utopiques, elles ne se sont pas absolument retirées de la conscience historique. C’est bien plutôt une certaine utopie qui est arrivée à sa fin, celle qui dans le passé s’était cristallisée autour du potentiel qui résidait dans la société du travail. » Chapitre V. Acte III De la libération du travail au plein emploi Pour les horaires et les conditions de travail, voir les très nombreux rapports officiels et enquêtes de l’époque, en particulier celle du Dr Villermé, cité in Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit. ; Engels, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre, Éditions sociales, 1975 ; voir également J. Le Goff, Du silence à la parole, Calligrammes-La Digitale, 1985. En cela, le xixe siècle socialiste est très ricardien. Dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt, GF-Flammarion, 1993, Ricardo écrit, dès le chapitre i, que la valeur d’une marchandise dépend de la quantité relative de travail nécessaire à sa production ». Un grand nombre de socialistes reprendront ces thèses pour revendiquer en particulier que tout le revenu issu de la production revienne aux travailleurs. Ce vocabulaire religieux il s’agit de l’opération par laquelle le pain et le vin se transforment en corps et sang de Jésus-Christ, dans la liturgie catholique est assez bien adapté ici, nous semble-t-il. La Ire Internationale ou Association internationale des travailleurs a été fondée à Londres en 1864. On en trouvera les statuts dans La Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, op. cit. La IIe Internationale rassemble des courants et des partis très divers, marxistes, libertaires, syndicalistes, proudhoniens. Le programme d’Eisenach, marxiste 1869, est celui du Parti ouvrier social-démocrate Le Parti ouvrier social-démocrate poursuit l’établissement de l’État populaire libre. » E. Bernstein 1850-1932 adhère en 1872 à l’Internationale ouvrière. Exilé en Suisse à cause des lois antisocialistes, il dirige avec Kautsky le Sozial Democrat et adhère au marxisme. À Londres, il devient le secrétaire d’Engels. En 1899, il écrit Socialisme théorique et social-démocratie pratique. E. Bernstein, Les Présupposés du socialisme, Seuil, 1974. Seule exception à cet unanimisme, la critique radicale de Lafargue, marxiste et guesdiste farouche, en 1883, dans Le Droit à la paresse, réfutation du droit au travail de 1848 ; mais elle n’est pas représentative de la pensée marxiste ni de la pensée sociale-démocrate. Lafargue ouvre ainsi son ouvrage Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l’amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu’à l’épuisement des forces vitales de l’individu et de sa progéniture. Au lieu de réagir contre cette aberration mentale, les prêtres, les économistes, les moralistes, ont sacro-sanctifié le travail », Le Droit à la paresse, Climats, 1992, p. 17. Sur la mise en place des lois de protection sociale et les rapports de celle-ci avec le travail, voir Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit., p. 255-490. Le socialisme vulgaire a hérité des économistes bourgeois l’habitude de considérer et de traiter la répartition comme une chose indépendante du mode de production et de représenter pour cette raison le socialisme comme tournant essentiellement autour de la répartition », Marx et Engels, Critique des programmes de Gotha et d’Erfurt, op. cit., p. 33. Il s’agit là d’une configuration totalement aliénée, dans le schéma marxien par exemple le travail n’est pas voulu pour lui-même, mais pour autre chose. En particulier au travers du vote des premières lois sociales, cf. Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit. Habermas, La crise de l’État-providence », in Écrits politiques, op. cit., p. 113. Il lui faut intervenir dans le système économique en ayant en vue, tout à la fois, d’entretenir la croissance capitaliste, d’aplanir les crises, mais aussi de garantir non seulement les emplois, mais encore la compétitivité internationale des entreprises, de sorte que des surplus soient dégagés qui puissent être redistribués, sans que soient découragés les investisseurs privés. […] Il faut pour accéder au compromis que suppose l’État-social, et pour parvenir à la pacification de l’antagonisme de classe, que le pouvoir d’État, légitimé démocratiquement, se constitue en préservateur et en dompteur du processus “naturel” de croissance du capitalisme », ibid., p. 112. Chapitre VI. L’utopie du travail libéré Les nouvelles valeurs et la notion d’accomplissement ; réflexion de philosophie sociale sur l’avenir du travail et des loisirs », H. Lenk, OCDE, in Forum de l’OCDE sur l’avenir, 1994. D. Mothé, Le mythe du temps libéré », Esprit, no 204, 1994. P. Boisard, Partage du travail les pièges d’une idée simple », Esprit, no 204, 1994. D. Mothé, Le mythe du temps libéré », art. cit. Le technicien, le chercheur, l’universitaire, le charpentier peuvent procéder à des calculs pendant leur temps de loisir, sur la plage, dans leur lit. Ils peuvent travailler dans n’importe quel lieu. Que peut faire la diminution du temps légal de travail sur ces activités intellectuelles invisibles ? », D. Mothé, ibid. Elles sont aujourd’hui très peu nombreuses à part quelques sondages, on dispose des enquêtes du CREDOC sur les aspirations des Français. Cette enquête annuelle n’analyse néanmoins pas les représentations en tant que telles. On dispose également de quelques enquêtes citées in H. Riffault, Les Valeurs des Français, PUF, 1994, chapitre sur le travail, ou in Lenk, Forum de l’OCDE, op. cit. Mais les représentations le travail est-il considéré comme épanouissant ? contraignant ? pourquoi ? en tant que telles sont mal connues. Voir, par une entrée différente, Souffrances et précarités au travail. Paroles de médecins du travail, Syros, 1994. Weber, Histoire économique…, op. cit., Gallimard, 1991, p. 296 Une exploitation capitaliste rationnelle est une exploitation dotée d’un compte de capital, c’est-à-dire une entreprise lucrative qui contrôle sa rentabilité de manière chiffrée au moyen de la comptabilité moderne et de l’établissement d’un bilan. » Weber renoue ainsi avec ce qu’il avait démontré dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme. Il cite B. Franklin cf. Acte I Tiens un compte exact de tes dépenses et de tes revenus », et ajoute que l’esprit du capitalisme fait à chacun un devoir d’augmenter son capital, ceci étant supposé une fin en soi, p. 46-47. Histoire économique…, op. cit., p. 297. K. Polanyi, La Grande Transformation, op. cit., p. 107. Polanyi nous permet de nous étonner à nouveau devant ce qui aujourd’hui ne provoque plus l’étonnement. Il écrit par exemple p. 70 En fait, la production mécanique, dans une société commerciale, suppose tout bonnement la transformation de la substance naturelle et humaine de la société en marchandises. » En particulier, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Gallimard, coll. Idées », 1955, et La Condition ouvrière, Gallimard, coll. Espoir », 1951. G. Friedmann, Où va le travail humain ?, Gallimard, coll. Idées », 1978. T. Di Ciaula, Tuta blu bleu de travail, Federop et Actes Sud, 1982. S. Weil, La Condition ouvrière, op. cit. Trois lettres à Mme Albertine Thévenon, 1934-1935, p. 18-19. S. Weil, Réflexions…, op. cit., p. 13. Simone Weil fait certainement allusion aux Principes d’une critique de l’économie politique, op. cit., où Marx explique que la tendance à créer un marché mondial est incluse dans le concept même de capital », p. 258 et suivantes. Cf. Camerlynck, Le Contrat de travail, op. cit., p. 52. A. Supiot, Critique du droit…, op. cit., p. 98. Cette contradiction entre autonomie de la volonté et subordination de la volonté aboutit à ce que le salarié est à la fois appréhendé dans l’entreprise comme sujet et comme objet du contrat », ibid., p. 123. Pour l’analyse du droit collectif, voir chapitre iii, particulièrement p. 133 et suivantes. On lira la passionnante analyse de Camerlynck, in Le Contrat de travail, op. cit., qui explique comment P. Durand et une tradition française institutionnaliste ont tenté d’introduire la conception allemande, p. 14-27. Voir également chapitre vii du présent ouvrage. A. Supiot, Critique du droit…, op. cit., p. 165. Que penser par ailleurs de cette affirmation Comme le travailleur indépendant, le salarié a le droit d’arbitrer entre les périodes qu’il consacre à sa vie de travail et celles qu’il consacre à sa formation ou sa vie sociale, il est juge du danger que présente une situation de travail, il peut jouir d’une réelle liberté dans l’accomplissement de la tâche pour laquelle on le paie… », ibid., p. 169 ? Qui peut se reconnaître dans ces lignes aujourd’hui ? Le statut s’oppose au contrat le statut est ce qui détermine les droits et obligations des personnes concernées par celui-ci par exemple statut des fonctionnaires, statut des directeurs d’hôpitaux…. A. Supiot écrit que cette relation prétendument égalitaire entre employeurs et salariés est […] manifestement inégalitaire », mais que l’édification du droit français peut se lire tout entière comme une tentative d’englobement du principe d’égalité concrète dans un cadre juridique dominé par le principe d’égalité formelle ». Donc subordination ne signifie pas inégalité… Critique du droit…, op. cit., p. 133-136. A. Supiot se réfère à L. Dumont pour cette démonstration… La dernière forme de servitude que prend l’activité humaine – travail salarié d’un côté et capital de l’autre… », Principes d’une critique de l’économie…, op. cit., p. 272. Le recrutement des forces de travail pour la nouvelle forme de production telle qu’elle se développe en Angleterre à partir du xviiie siècle […] s’effectue d’abord par des moyens coercitifs très incisifs […] L’expropriation des petits paysans dépendants par de plus gros fermiers a contribué à […] créer en excédent une population qui tombait sous le coup du travail forcé. Quiconque ne se rendait pas spontanément était expédié dans un établissement de travail où régnait une discipline de fer ; celui qui quittait son emploi sans un certificat à décharge délivré par le maître était susceptible d’être considéré comme vagabond ; aucun appui n’était accordé au chômeur, autre que sous la ferme contrainte de devoir se rendre dans un établissement de travail », Weber, Histoire économique…, op. cit., p. 326. La Grande Transformation, op. cit., passim dans les chapitres vi, vii et viii ; cf. surtout le rôle de la faim dans le chapitre x et dans le chapitre xiv Le dernier stade a été atteint avec l’application de “la sanction naturelle”, la faim. Pour pouvoir la déclencher, il était nécessaire de liquider la société organique, qui refusait de laisser l’individu mourir de faim », p. 222. Voir les deux ouvrages cités. Dans La Condition ouvrière, Simone Weil parle de ses camarades d’esclavage » p. 159, Lettre à un ingénieur directeur d’usine », juin 1936. Voir également ce qu’elle dit de l’oppression sociale Cette contrainte inévitable ne mérite d’être nommée oppression que dans la mesure où, du fait qu’elle provoque une séparation entre ceux qui l’exercent et ceux qui la subissent, elle met les seconds à discrétion des premiers et fait ainsi peser jusqu’à l’écrasement physique et moral la pression de ceux qui commandent sur ceux qui exécutent », Réflexions…, op. cit., p. 39. Cf. aussi p. 77, 83, 129, 139, 143. Réflexions…, op. cit., p. 79. Habermas, La crise de l’État-providence », in op. cit., p. 113. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, op. cit. Ibid., Prologue, p. 37. Heidegger, Contribution à la question de l’Être », in Questions I, Gallimard, 1982. E. Jünger, Le Travailleur, Christian Bourgois, 1993. Contribution… », op. cit., p. 206. Ibid., p. 217. C’est l’un des grands messages » de la philosophie heideggerienne. Sur ce point, voir La question de la technique », in Essais et Conférences, Gallimard, 1973. M. Heidegger interrogé par le journal Der Spiegel, in Réponses et questions sur l’histoire et la politique, Mercure de France, 1988, p. 44 et 50. Heidegger, La question de la technique », op. cit., p. 20. Heidegger, Lettre sur l’humanisme, op. cit. Entretien avec Der Spiegel, op. cit., p. 61. M. Horkheimer, Th. Adorno, La Dialectique de la raison, Gallimard, coll. Tel », 1983. Ibid., Introduction, p. 13. Le véritable titre du livre est d’ailleurs Dialectique de l’Aufklärung Ibid., p. 23. Ibid., p. 27. Ibid. Ibid., p. 38. Simone Weil ne dit pas autre chose Il semble que l’homme ne puisse parvenir à alléger le joug des nécessités naturelles sans alourdir d’autant celui de l’oppression sociale, comme par le jeu d’un mystérieux équilibre », Réflexions…, op. cit., p. 77. Horkheimer, Adorno, Dialectique…, op. cit., p. 44. À l’époque actuelle […], ce n’est pas dans les sciences de la nature, fondées sur les mathématiques présentées comme Logos éternel, que l’homme peut apprendre à se connaître lui-même, c’est dans une théorie critique de la société telle qu’elle est, inspirée et dominée par le souci d’établir un ordre conforme à la raison », in Horkheimer, Théorie critique, Payot, 1978. Marx, L’Idéologie allemande, cité et traduit par Habermas in La crise de l’État-providence », Écrits politiques…, op. cit., p. 110. A. Gorz, Adieux au prolétariat, Galilée, 1980, et, plus récemment, Métamorphoses du travail…, op. cit. Simone Weil l’avait parfaitement compris et c’est pour cette raison qu’elle reprenait à son compte la critique marxienne tout en refusant ses conséquences, trop optimistes à son goût La complète subordination de l’ouvrier à l’entreprise et à ceux qui la dirigent repose sur la structure de l’usine et non sur le régime de la propriété », in Simone Weil, Réflexions…, op. cit., p. 16. Habermas, La crise de l’État-providence », in Écrits politiques…, op. cit., p. 110. L’une et l’autre ouvrent en effet leur principal ouvrage sur le travail Réflexions…, op. cit., et Condition de l’homme moderne, op. cit. par une critique de Marx. Les livres d’Y. Schwarz et Y. Clot en particulier, donnent parfois l’impression d’une sorte de renouveau de la pensée stoïcienne. Une partie de leur démonstration consiste en effet à montrer comment, dans l’acte le plus contraint et le plus déterminé, une part évidente de liberté et de créativité subsiste dans l’acte de travail, disent-ils, sont convoqués les traditions, les savoir-faire, mais aussi toute l’habileté personnelle de chaque travailleur. Dans le travail se détermine donc une approche particulièrement riche d’ouverture au monde et aux autres. Ce qui est mis en évidence par ces auteurs, c’est donc la nécessité de l’initiative du sujet humain à la source de toute formalisation. Mais en disant que dans l’acte le plus déterminé, c’est-à-dire même au cœur du pire taylorisme, le sujet garde sa créativité, ne risque-t-on pas, d’une certaine manière, de justifier celui-ci ? Pour Gorz, la libération du travail ne peut résider que dans la libération de l’industrialisme, dans l’alternative éthique radicale du capitalisme. Redonner son sens au travail signifie pour Gorz chercher du sens dans le non-travail. […] Mais comment Gorz peut-il ne pas comprendre que c’est à partir de la profondeur de l’insertion de la force de travail dans le capital que tout futur prendra forme […] et qu’il vaut mieux rester sur le terrain que nous offre le marxisme celui de la critique du travail ? […] Ne faut-il pas lutter contre l’hétéronomie du travail et utiliser cette lutte comme instrument contre l’autonomie du capital ? », Vincent, T. Negri, Paradoxes autour du travail », Futur antérieur, no 10, p. 6-8. H. Kern, M. Schumann, La Fin de la division du travail ? La rationalisation dans la production industrielle, Éd. de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 1989 Jusqu’à présent, toutes les formes que prenait la rationalisation capitaliste reposaient sur un principe de base qui concevait le travail vivant comme une barrière s’opposant à la production. […] Le credo des nouveaux modèles de production devient maintenant la qualification et la maîtrise professionnelle de l’ouvrier constituent des capacités productives qu’il s’agit d’utiliser de manière accrue », p. 8-9. C’est la grande critique de Hannah Arendt Dans une humanité complètement socialisée, qui n’aurait d’autre but que d’entretenir le processus vital – et c’est l’idéal nullement utopique, hélas ! qui guide les théories de Marx – il ne resterait aucune distinction entre travail et œuvre ; toute œuvre serait devenue travail », Condition…, op. cit., p. 134. Chapitre VII. Le travail, lien social ? On se souvient de l’image qu’emploie Marx dans les Manuscrits de 44 Nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre. » La Monadologie est l’œuvre maîtresse de Leibniz. Pour celui-ci, le monde est composé de monades qui s’expriment les unes les autres à l’infini si l’on déroule chaque monade, pourtant totalement différente de toutes les autres, on trouve le monde entier. C’est en quelque sorte l’unicité de son point de vue, la manière unique dont elle exprime toute les autres qui fait la singularité de chacune. Aristote, Les Économiques, I, 1343a, Vrin, 1993 L’Économique et la Politique diffèrent non seulement dans la mesure où diffèrent elles-mêmes une société domestique et une cité car ce sont là les objets respectifs de ces disciplines, mais encore en ce que la Politique est l’art du gouvernement de plusieurs et l’Économique celui de l’administration d’un seul. » La polis se distinguait de la famille en ce qu’elle ne connaissait que des égaux, tandis que la famille était le siège de la plus rigoureuse inégalité », Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, op. cit., p. 70. Concernant cette analyse, voir Hannah Arendt, ibid. Tel est, étymologiquement, le sens d’ économie » l’administration du domaine. Hannah Arendt, Condition…, op. cit., p. 66. Hannah Arendt écrit aussi p. 71 Depuis l’accession de la société, autrement dit du ménage oikia ou des activités économiques, au domaine public, l’économie et tous les problèmes relevant jadis de la sphère familiale sont devenus des préoccupations “collectives”. » Hegel, Système de la vie éthique, Payot, 1976. Voir les ouvrages de P. Chamley cités dans le chapitre iv dont Économie politique et philosophie chez Steuart et Hegel, op. cit. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., § 183. Ibid., § 258. Le Droit naturel, Gallimard, coll. Idées », 1972. Habermas, Travail et interaction, Remarques sur la philosophie de l’esprit de Hegel à Iena », in La Technique et la science comme idéologie », Denoël, 1973. Voir aussi Connaissance et intérêt, op. cit., chapitre ii, et Après Marx, Fayard, 1985. Voir par exemple les ouvrages de R. Sainsaulieu déjà cités ou le plus récent ouvrage de C. Dubar, La Socialisation, op. cit. E. Durkheim, La Division sociale du travail, PUF, coll. Quadrige », 1991. A. Supiot, Critique du droit…, op. cit., p. 31. Voir les nombreuses études de B. Reynaud, en particulier Le Salaire, la Règle, et le Marché, Christian Bourgois, 1991, et Théorie des salaires, La Découverte, 1993. Il s’agit de l’agrément ou du désagrément des emplois en eux-mêmes, de la facilité avec laquelle on peut les apprendre ou de la difficulté et de la dépense qu’ils exigent pour cela, de l’occupation constante qu’ils procurent ou des interruptions auxquelles ils sont exposés, du plus ou moins de confiance dont il faut que soient investis ceux qui les exercent, et enfin de la probabilité ou de l’improbabilité d’y réussir. Voir Smith, Recherches…, op. cit., chapitre x, section I. Sur ces points, voir Hatzfeld, op. cit., et Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit. Ibid. L’entreprise est en passe de prendre rang parmi les grandes institutions de notre époque, après l’Église, l’Armée, la justice, l’École, la commune, l’Université », écrit R. Sainsaulieu dir. in L’Entreprise, une affaire de société, Presses de la FNSP, 1990. Cf. D. Flouzat, Économie contemporaine, PUF, 1981, p. 148 L’entreprise apparaît ainsi comme un processus qui consomme certains facteurs de production terre, capital, travail pour les transformer en produits vendables. » L’idée est que le travail humain n’est pas qu’un coût et que le travail peut constituer un apport de productivité majeur la formation, la qualification, la motivation, la confiance constituent des atouts majeurs pour l’entreprise et une source d’augmentation de la productivité. On remarquera d’ailleurs le paradoxe qui consiste à ne prendre en considération le travail humain que lorsqu’il est traité comme du capital… Ainsi se réaliserait, d’une manière détournée, la prédiction de Marx, pour qui le destin du capitalisme est que tout travail devienne du capital. Voir Principes d’une critique de l’économie…, op. cit., le chapitre intitulé Le travailleur devant l’automation ». Marx écrit en particulier Ainsi, toutes les forces du travail sont transposées en forces du capital. » Conformément à la théorie contractuelle de l’entreprise Par contrat, le propriétaire se procure la main-d’œuvre dont il a besoin. Dans les limites fixées par le droit du travail, le chef dirige comme il l’entend », écrit P. Sudreau, in La Réforme de l’entreprise, La Documentation française, 1975. L’entreprise n’est que la somme des contrats individuels de travail. Cf. H. Bartoli, Science économique et travail, op. cit., p. 227 Il ne suffit pas d’établir des comités d’entreprise pour que la participation des travailleurs à la gestion des entreprises soit acquise. Trop faibles pour pouvoir limiter effectivement l’autocratie patronale et technocratique, n’ayant pratiquement pas de pouvoir de décision en matière économique, soumis à trop de manœuvres de la part des conseils d’administration, mal informés de la marche de l’entreprise, les comités d’entreprise se sont révélés incapables de modifier la nature de l’entreprise. Elle est demeurée de style et de procédé capitalistes. […] Les comités d’entreprise ne pouvaient pas devenir les organes d’une vraie démocratie industrielle. » Voir le rapport Bruhnes, Choisir l’emploi, Commissariat général du Plan, La Documentation française, 1993. H. Bartoli, Science économique et travail, op. cit., p. 54. Il ajoute Maintes fois il a été dit que l’appropriation privée des moyens de production constitue l’un des moyens indispensables à la défense des valeurs de la propriété personnelle. Longtemps on a jugé préférable l’appropriation privée, parce que, disait-on, elle stimule l’ardeur au travail, garantit l’ordre social, pousse l’homme à mieux comprendre l’excellence de l’état social et à s’y dévouer. […] Dans le capitalisme, ces justifications s’estompent. […] Ce n’est pas le corporatisme, simple masque au régime de l’argent, qui se trouve appelé par l’exigence d’une gestion commune des moyens de production, mais bien une économie du travail. […] Le droit à la liberté du travail est le droit de travailler dans une économie dotée d’organisations juridiques positives, celles que requiert le droit naturel du travail humain, non le droit d’œuvrer dans une économie anarchique, sans lois, sans institutions sociales. Le droit du travail est un droit social. La liberté du travail dont parlent les libéraux n’en est que la caricature. » P. Durand, cité par Camerlynck, in Le Contrat de travail, op. cit., p. 17. A. Supiot, Critique du droit, op. cit., p. 16. Voir chapitre ix. Privatrecht, volume I, 1895, p. 116-117. Sur Gierke, voir L. Dumont, Essais sur l’individualisme, op. cit., et G. Gurvitch, L’Idée du droit social, notion et système du droit social, Sirey, 1932. A. Supiot, Critique du droit, op. cit., p. 18. Camerlynck, Le Contrat de travail, op. cit., p. 17. Le contrat de travail lui-même, qu’on nous présente comme le fait juridique primaire et irréductible, n’est qu’un fait secondaire et dérivé. À y regarder de près en effet, il implique, outre un commencement de division du travail, une organisation sociale relativement complexe et suffisamment stable pour que des individus puissent envisager en sécurité l’avenir dans un acte de prévision. […] À côté des contrats, où les ouvriers interviennent comme parties, il y a l’institution organique dont ils deviennent membres membres solidaires dont la collaboration active et intelligente à une œuvre commune et la soumission à une même discipline font de véritables associés », Thèse de E. Gounot, Lyon, 1910, citée par Camerlynck, in Le Contrat de travail, op. cit., p. 15. Camerlynck, Rapport de synthèse établi pour le compte de la CECA, 1964, p. 147. Il est certes normal d’insister sur le caractère personnel du lien obligatoire, sur l’intuitus personae qui préside parfois à la formation de ce lien et sur certaines obligations accessoires en découlant. Mais le vinculum juris reste essentiellement un lien d’obligation traditionnel, tel qu’on le rencontre dans les contrats d’échange », ibid. Ibid., p. 148. Voir le chapitre ix. Chapitre VIII. Critique de l’économie Depuis que l’économie politique est devenue la simple exposition des lois qui président à l’économie des sociétés, les véritables hommes d’État ont compris que son étude ne pouvait leur être indifférente. On a été obligé de consulter cette science pour prévoir les suites d’une opération, comme on consulte les lois de la dynamique et de l’hydraulique, lorsqu’on veut construire avec succès un pont ou une écluse », cité par F. Fourquet, Richesse et puissance, une généalogie de la valeur, La Découverte, 1989, chapitre xvii, La naissance de la science économique ». Cet ouvrage magistral analyse l’économie dans sa dimension politique » et conceptuelle. Je remercie Christine Afriat d’avoir attiré mon attention sur lui. A. Cournot, Traité de l’enchaînement des idées fondamentales, 1911. L. Walras, Principes d’une théorie mathématique de l’échange, mémoire lu à l’Académie des sciences morales et politiques les 16 et 23 août 1873. L. Walras, Éléments d’économie pure, Paris, F. Pichon, 1900. Ibid., p. 27. Ibid. C. Larrère, L’Invention de l’économie…, op. cit. Voir le chapitre i, Droit naturel et sociabilité ». J. Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, 1789, in The Works of Jeremy Bentham, John Browning ed., Edinburgh, W. Tait, 1838, I, i, 2, p. 1. J. Stuart Mill, Autobiography, 1873, cité in M. Canto-Sperber, La Philosophie…, op. cit., p. 19. J. Stuart Mill, L’Utilitarisme, Flammarion, coll. Champs », 1993, p. 54. W. S. Jevons est considéré comme l’autre grand théoricien de l’école néoclassique. Mais alors que L. Walras fait partie de l’école de Lausanne qu’il a fondée, Jevons 1835-1882 appartient à l’école anglaise. Ce type d’analyse, que l’on a appelé la révolution marginaliste, est appliqué par les néoclassiques à de très nombreux domaines. Voir les Principes d’économie politique de A. Marshall pour sa description. Marshall donne l’exemple des mûres une personne cueille des mûres pour les manger. Cette action lui donne du plaisir pendant un moment. Mais, après en avoir mangé une certaine quantité, le désir diminue et la fatigue s’accroît. Lorsque le désir de se récréer et son éloignement pour le travail de cueillir des mûres contrebalancent le désir de manger, l’équilibre est atteint. » L. Walras, Éléments d’économie pure, op. cit. L’œuvre de Nietzsche n’est qu’un long développement de cette idée les valeurs, écrit par exemple Nietzsche, sont le résultat de certaines perspectives d’utilité bien définies, destinées à maintenir et à fortifier certaines formes de domination humaine » Volonté de puissance, Gallimard, 1947, tome I, livre II, § 58, p. 218. Il n’y a pas une vérité unique que nous pourrions atteindre, mais un pluralisme des points de vue qui correspond au pluralisme foncier du monde lui-même. On lira sur ce point J. Granier, Le Problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, Seuil, 1966. Elle est composée de personnages comme C. Menger 1840-1921, E. Böhm-Bawerk 1851-1914, F. von Hayek. F. von Hayek, Scientisme et sciences sociales, Presses-Pocket, coll. Agora », 1986, p. 54. Voir en particulier Droit, législation, liberté, où cette approche est particulièrement développée, avec la notion des ordres construits ou fabriqués taxis et des ordres spontanés ou mûris kosmos, PUF, 1985. Walras est connu pour avoir trouvé le théorème de l’équilibre général, c’est-à-dire démontré qu’il existait une solution au système d’équations représentant les relations d’échange sur le marché ou les marchés des produits, des facteurs de production et de la monnaie, ou encore qu’il existe un système de prix qui permet d’atteindre un état d’équilibre stable, et donc une autorégulation de l’activité économique. L’école de Vienne ira encore plus loin dans cette manière de considérer qu’il existe un ordre naturel il y a, profondément inscrit dans la pensée libérale, l’idée qu’il existe un ordre naturel ; y toucher » reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore… Cette idée trouve une expression presque caricaturale chez Hayek, lorsqu’il explique que jamais aucun ordre construit ne parviendra à égaler la précision et la justesse de l’ordre naturel. Cf. Droit, législation, liberté, op. cit. Comme l’écrit F. Fourquet, in Richesse et puissance, op. cit., p. 262. L’habit d’économiste revêt donc un observateur comme un autre. Tous les économistes classiques ont eu une intuition primordiale sur un ordre de priorité. Les catégories comptables ou économiques n’ont été que les moyens intellectuels pour traduire et communiquer cette intuition dans un langage codifié d’apparence scientifique. Ce qui les conduit, c’est un critère sur la nature de la bonne utilité. […] L’idéal historique opère le partage entre le bon grain productif et l’ivraie improductive. » Ainsi doit-on comprendre le fait que c’est la production d’objets matériels devant être vendus qui est valorisée. Sur le rapport entre le concept de nation et l’économie, voir F. Fourquet, Richesse et puissance, op. cit. Il suffit de relire Malthus dès le début de sa recherche, c’est l’échange qui est au centre de la question. Il ne s’agit que de savoir si l’échange doit porter sur des objets matériels ou immatériels. Pour cela, il est nécessaire de postuler une harmonie des intérêts telle que, lorsque je poursuis mon intérêt, soit je poursuis en même temps celui des autres fusion des intérêts, grâce à la bienveillance, par exemple, soit le bien des autres en résulte conformément à l’ordre naturel identité naturelle des intérêts, la main invisible, soit le bien de tous en résulte par une construction identification artificielle des intérêts, cf. J. Bentham. Pour toutes ces questions, voir E. Halévy, La Formation du radicalisme philosophique, Felix Alcan, 1903, épuisé, à paraître aux PUF, coll. Philosophie morale », et en particulier le premier volume La Jeunesse de Bentham. Voir sur ces questions A. Sen, Éthique et économie, PUF, 1994 ; Dupuy, Le Sacrifice et l’envie, Calmann-Lévy, 1992 ; Ph. Van Parijs, Qu’est-ce qu’une société juste ?, Seuil, 1991 ; S. C. Kolm, Philosophie de l’économie, Seuil, 1985 ; et, évidemment, J. Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987, en particulier le chapitre v, consacré à l’utilitarisme. Ou encore plus simplement Si, et seulement si, il est impossible d’accroître l’utilité d’une personne sans réduire celle d’une autre personne », A. Sen, Éthique et économie, op. cit., p. 32. Le produit intérieur brut se calcule en additionnant les valeurs ajoutées par toutes les branches, c’est-à-dire en additionnant les valeurs des biens et services de chaque branche, dont ont été retranchées les valeurs des consommations intermédiaires. Le SECN a élargi le concept de production adopté dans l’ancien système 1976 la production était considérée comme l’ensemble des biens et services échangés sur un marché ou susceptibles de s’y échanger. Ainsi l’apport des administrations était-il exclu puisque les services qu’elles rendent ne font en général pas l’objet d’une vente. On continue néanmoins de distinguer entre le PIB marchand et le PIB non marchand. Mais, comme les prestations correspondant à des fonctions collectives, le plus souvent prises en charge par des administrations, ne sont pas marchandes, elles sont mesurées par les dépenses qu’elles représentent salaires et consommations intermédiaires. Dans cette mesure, les services rendus par les administrations sont conçus comme n’étant à l’origine d’aucun enrichissement pour la collectivité. La même activité, en revanche, si elle était exercée par une entreprise privée et était vendue pour une valeur supérieure à son coût de revient, ce qui est habituellement le cas, serait considérée comme ayant enrichi la collectivité de cette différence. Bien qu’étant à l’origine d’une dépense totale plus grande coût de revient plus valeur ajoutée, l’activité privée est donc considérée comme enrichissant la collectivité, mais ce n’est pas le cas de la prestation réalisée par l’administration. La production est l’activité économique socialement organisée qui consiste à créer des biens et services s’échangeant habituellement sur le marché et/ou obtenus à partir de facteurs de production s’échangeant sur le marché », Système élargi de comptabilité nationale. Cf. A. Chadeau, A. Fouquet, Peut-on mesurer le travail domestique ? », Économie et statistiques, no 136, septembre 1981. L’étude avait montré que les Français consacraient plus de temps au travail domestique qu’au travail rémunéré. Pigou, L’Économie du bien-être, 1920. Comme lorsque par exemple nous consommons des ressources naturelles non reproductibles ou très longues à reproduire et que nous n’établissons pas de bilan entre cette disparition et la production d’une richesse, ou que nous transformons des relations sociales denses en services marchands. Le PIB est l’agrégat le plus utilisé pour comparer la croissance des économies nationales. Or, sa signification reste limitée, car il ne représente pas le gain économique net réalisé dans le processus de production, puisqu’il peut être obtenu par usure du capital existant. […] L’agrégat le plus apte à mesurer le bien-être semble donc être le produit national net, mais celui-ci n’intègre pas tous les éléments permettant une évaluation précise des gains nets d’utilité. Certains éléments ne font pas l’objet de comptabilisation alors qu’ils augmentent l’utilité globale, il en est ainsi des services gratuits de l’économie domestique. Plus importants encore, les inconvénients, nés des nuisances de la société industrielle, ne figurent pas en général dans les tableaux comptables comme flux négatifs. Bien plus, quand les désutilités externes qui accompagnent la croissance sont comptabilisées, elles ne sont retenues que par le biais des dépenses de reconstitution partielle de l’environnement et sont considérées comme un accroissement du produit », D. Flouzat, Économie contemporaine, PUF, 1981, tome I, p. 70. Système élargi de comptabilité nationale, base 1980, Méthodes, collections de l’Insee, C. 140-141, juin 1987, et O. Arkhipoff, Peut-on mesurer le bien-être national ?, collections de l’Insee, C. 41, mars 1976. Malthus, Principes…, op. cit., p. 26. S. C. Kolm, Philosophie de l’économie, op. cit., p. 250. Les douze pages que consacre Malthus à la recherche de ce qu’est la richesse sont extraordinaires. Tous les arguments de l’époque en faveur d’une conception extensive de la richesse sont examinés. Il écrit Tout savoir, fruit d’une éducation soignée ou de talents supérieurs, aurait le droit d’être compris dans cette estimation de la richesse […] Pour ce qui regarde les objets immatériels, la difficulté paraît être insurmontable. Où pourrait-on s’en procurer un inventaire ? Ou comment pourrait-on en dresser un de la quantité, de la qualité de cette immense masse de savoir et de talents réservée à l’usage et à la consommation personnels de ceux qui les possèdent, aussi bien qu’à celle de leurs amis ? En supposant même qu’il fût possible de faire un tel inventaire, comment pourrions-nous arriver à obtenir une évaluation, même approximative, des articles qu’elle pourrait contenir ? », Principes…, op. cit., p. 3-14. La prise en compte de l’échange mutuellement avantageux comme source essentielle de richesses a certes constitué un progrès » par rapport à la conception exclusivement patrimoniale, au sens de possessions de terres, de biens meubles… et est allée de pair avec l’émergence de l’individu. Mais aujourd’hui, de même que nous avons à dépasser le stade de la reconnaissance de l’individu, nous devons inventer une conception de la richesse qui prenne en compte l’échange mais ajoute cette dimension patrimoniale richesses des individus ne faisant pas nécessairement l’objet d’un échange, patrimoine collectif. C’est le capital qu’on emploie en vue de retirer un profit qui met en mouvement la plus grande partie du travail utile d’une société », Recherches…, op. cit., p. 335. A. Smith, Ibid., p. 334-335. Malthus, Principes…, op. cit., chapitre i. Dans Philosophie de l’économie, op. cit., Kolm explique que le PNB a été inventé en période de guerre et d’après-guerre, c’est-à-dire à un moment, en effet, où l’essentiel était de recommencer à produire Cet indice a été inventé pour réaliser la politique keynésienne, calculé d’abord en Angleterre pendant la guerre par Stone et Meade l’inventeur de l’expression “produit national brut” comme arme secrète pour l’organisation de l’effort de défense, puis aux États-Unis et dans les autres pays en France vers 1951. Son objectif initial était de raisonner sur l’activité et la production économiques de sous-emploi. Il a ensuite été utilisé pour mesurer les capacités de production globales et leur croissance » p. 250. Voir plus généralement le chapitre xii La pensée économique bouleverse le monde le vol d’Icare du keynésianisme ». A. Sen, Éthique et économie, op. cit., p. 32. J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., chap. v. E. Halévy, Les principes de la distribution des richesses », Revue de métaphysique et de morale, 1906, p. 545-595. Je remercie Jean Saglio d’avoir attiré mon attention sur ce texte. R. Aron, Dix-Huit Leçons sur la société industrielle, leçon VI, Les types de société industrielle », Gallimard, coll. Folio », 1986, p. 127. Il écrit aussi, p. 83 Il n’y a pas de preuve que l’organisation la plus efficace pour augmenter le plus vite possible la quantité de ressources collectives soit simultanément l’organisation qui répartisse le plus équitablement les biens disponibles. En termes abstraits, une économie efficace n’est pas nécessairement une économie juste. » A. Marshall, dans les Principes d’économie politique, op. cit., 1890, analyse la manière dont les différentes classes sociales investissent de manière différente dans l’éducation de leurs enfants Le placement de capitaux en vue de l’éducation et du premier apprentissage des ouvriers en Angleterre est limité par les ressources des parents dans les divers rangs de la société. » Cf. Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit. En matière d’assurance-maladie, par exemple, toutes les cotisations, qui sont proportionnelles aux salaires et non pas aux risques des individus, sont mutualisées, versées dans un même fond qui sert au financement des soins de tous, donc selon les besoins de chacun. La logique est d’ailleurs un peu celle du De chacun selon ses facultés à chacun selon ses besoins ». Il est obligatoire, dès lors que l’on travaille ou que l’on se trouve dans un certain nombre de situations qui se rapprochent artificiellement de la condition de travailleur, de cotiser à un régime de Sécurité sociale, pour l’employeur et pour le salarié. La protection ne dépend donc pas du bon vouloir ou de l’épargne du salarié. Ceci constitue le meilleur moyen pour que toutes les personnes soient couvertes et pour que l’accès à la protection sociale ne dépende pas du niveau de ressources. Cf. Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit., p. 270 et suivantes. P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Seuil, coll. Points », 1979. A. Sen, Éthique et économie, op. cit., p. 10. L. Robbins, Essai sur la nature et la signification de la science économique, Médicis, 1947, cité in M. Godelier, Rationalité et irrationalité en économie, Maspero, 1966, p. 19. Cette définition est très célèbre parce qu’elle sera reprise par toute une tradition L. von Mises, P. Samuelson, R. Burling… M. Herskovitz, E. LeClair, R. Burling, R. Salisbury, H. Schneider, cités in M. Godelier, Rationalité…, op. cit., et surtout in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit. Ibid., p. xi. R. Burling, Théories de la maximisation et anthropologie économique », in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., p. 113. E. LeClair Jr, Théorie économique et anthropologie économique », in Un domaine contesté…, op. cit., p. 124-126. C’est nous qui soulignons. Cf. ci-dessus, note 354 concernant L. Robbins. Il n’y a pas de techniques ni de buts économiques spécifiques. C’est seulement la relation entre des fins et des moyens qui est économique. […] Si tout comportement impliquant une allocation de moyens est économique, alors la relation d’une mère à son bébé est également une relation économique, ou plutôt a un aspect économique, tout autant que la relation d’un employeur avec son ouvrier salarié », R. Burling, in M. Godelier, Rationalité…, op. cit., p. 19. O. Lange, Économie politique, PUF, 1962, cité in M. Godelier, Rationalité…, op. cit., p. 24. K. Polanyi, L’économie en tant que procès institutionnalisé », traduit in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., p. 53-54. La méthode ainsi que le contenu de la théorie économique sont issus de deux caractéristiques fondamentales de l’Angleterre du xixe siècle la production industrielle en usines et le marché. En tant que principe d’intégration de toute l’économie, l’échange marchand oblige ses participants à se conformer à des règles très spéciales. Chacun tire sa subsistance de la vente de quelque chose sur le marché. […] Il faudrait souligner que c’est l’organisation marchande qui oblige ses participants à rechercher le gain matériel personnel », G. Dalton, Théorie économique et société primitive », traduit in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., p. 183. Sur la notion de besoin, voir les extraits et les textes de W. Moore p. 193, J. Boecke p. 241, M. Sahlins p. 243, in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit. Dans une économie domestique, la motivation économique n’agit pas continuellement ; c’est pourquoi les gens ne travaillent pas continuellement. En somme, il y a deux voies vers la satisfaction, vers la réduction de l’écart entre fins et moyens produire beaucoup ou désirer peu. Orientée comme elle l’est vers une modeste production des moyens de subsistance, l’économie domestique choisit la seconde solution, la voie du Zen. Les besoins, disons-nous, sont limités. Leur activité économique ne se fragmente pas en un troupeau galopant de désirs aiguillonnés par un sentiment continu d’inadéquation c’est-à-dire par une rareté des moyens », M. Sahlins, L’économie tribale », traduit in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., p. 243. Voir les textes cités dans M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., p. 183-212 Les hypothèses paramétriques de l’analyse économique d’autrefois étaient présentées comme des faits physiques. Les lois de l’économie marchande que l’on en dérivait prenaient de ce fait valeur de lois de la nature. Les processus économiques semblaient répondre à des lois physiques particulières, distinctes des conventions sociales. L’approche économistique qui séparait l’économie de la société et créait un corps d’analyse théorique de l’industrialisme marchand trouva une expression plus raffinée vers la fin du xixe siècle dans les travaux de Jevons, Menger, Clark et Marshall. […] La nécessité institutionnelle pour les individus de poursuivre leur intérêt privé matériel au sein d’une économie marchande se refléta idéologiquement sous la forme de généralisations portées sur la nature de l’“homme” dans la société. » Voir l’article de M. Sahlins cité in M. Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., en particulier p. 236 et suivantes. Ce qui, dans la sagesse conventionnelle de la science économique, constitue des facteurs exogènes ou non économiques représente, dans la réalité tribale, l’organisation même du processus économique. L’anthropologie économique ne peut les concevoir comme extérieurs, comme empiétant de quelque part à l’extérieur sur le domaine de l’économie. Ils sont l’économie, ils sont des éléments fondamentaux du calcul économique et de toute analyse véritable qu’on peut en faire. À ce sujet, on pourrait dire en général ce qu’Evans-Pritchard disait à propos des Nuer “On ne peut traiter des rapports économiques des Nuer en soi, car ils font toujours partie des rapports sociaux directs de type général”. » C’est cette tradition qui a été nommée institutionnalisme et dont se réclament aujourd’hui non seulement des juristes, mais aussi des sociologues, dont l’idée maîtresse consiste à dire que le marché n’existe pas tout seul et ne régit pas la société, mais que c’est au contraire un ensemble d’institutions, produit spécifiquement humain, culturel et social, qui régit celle-ci et le marché. C’est l’institution qui est première. E. Halévy, Les principes de la distribution des richesses », art. cit. C’est nous qui soulignons. La Science économique en France, ouvrage collectif, La Découverte, 1989. La citation est extraite de l’introduction de M. Guillaume, Le sommeil paradoxal de l’économie politique », p. 5. O. Lange, Économie politique, cité in M. Godelier, Rationalité…, op. cit., p. 26. M. Allais, Fondements d’une théorie positive des choix comportant un risque », cité in M. Godelier, Rationalité…, op. cit., p. 43. A. d’Autume, in La Science économique en France, op. cit., p. 17. Lors d’une émission qui faisait dialoguer, sur Arte, A. Gorz et le commissaire général au Plan, de Foucault, cet argument avait été mis en évidence. À A. Gorz expliquant que l’on pouvait envisager de renoncer à une augmentation aveugle de la production, de Foucault répondait Mais il reste tant de besoins insatisfaits »… Il oubliait, bien sûr, de dire qui exprimait ces besoins et si l’augmentation de la production avait bien pour but de satisfaire ces besoins-là. Ce n’est pas que dans les sociétés socialistes qu’il est conçu comme un producteur, ce n’est pas que dans les sociétés capitalistes qu’il est conçu comme un consommateur ; c’est l’image moderne de l’homme. Habermas, La crise de l’État providence », in Écrits politiques, op. cit., p. 115-116. Il ne faut pas oublier que Keynes a commencé à être écouté lorsqu’on s’est aperçu qu’il pouvait y avoir un équilibre de sous-emploi, et donc une anomalie majeure de la régulation, laquelle présuppose le plein emploi. M. Guillaume, in La Science économique en France, op. cit., p. 6. C’est le processus que met bien en évidence P. Rosanvallon dans La Crise de l’État-providence, op. cit., et qu’il fait remonter à la Révolution française l’État dissout les corps intermédiaires pour n’avoir plus en face de lui que des individus dispersés, qui n’ont pas le droit de se coaliser et en face desquels l’État apparaît tout-puissant. Sur ce point, démontré de manière très concrète et passionnante, cf. A. M Guillemard, Le Déclin du social, PUF, 1986. Habermas, La Technique et la science comme idéologie », op. cit., p. 40. La fameuse technostructure dont Galbraith décrit la puissance à côté des propriétaires des entreprises. Prononcée en 1919 et rassemblée avec une autre Le métier et la vocation de savant » sous le titre général Le Savant et le Politique, qui manque la signification essentielle du propos. On se réfère ici à l’édition de poche, M. Weber, Le Savant et le Politique, 10/18, 1971. M. Weber, L’Éthique protestante…, op. cit., p. 81-104. M. Weber, Le Savant et le Politique, op. cit., p. 121 et 123. La comptabilité nationale fut conçue en France à l’image de celle de l’entreprise. Les anciens économistes, même Smith, avaient en tête de diriger la nation productive comme une entreprise, un capital à gérer et à faire grandir », F. Fourquet, La Richesse et la Puissance, op. cit., p. 267. J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 40 et 43. Rawls rappelle plus loin p. 175 que le concept de rationalité est celui qui est bien connu dans la théorie du choix rationnel l’individu rationnel est celui qui a un ensemble cohérent de préférences face aux options disponibles. Il hiérarchise ces options selon la façon dont elles réalisent ses buts. Cet individu ne souffre ni de l’envie, ni de l’humiliation, ni de la jalousie. Ibid., op. cit., p. 30. R. Burling, Théories de la maximisation et anthropologie économique », cité in Godelier, Un domaine contesté…, op. cit., p. 110. Cf. la fin du chapitre iii du présent ouvrage. Les théories politiques du contrat se sont révélées impuissantes à fonder une société conçue autrement que comme un agrégat. Hobbes et Rousseau parviennent néanmoins à donner une unité organique à la société qu’ils décrivent, le premier grâce à la quantité de pouvoir que les individus transfèrent au souverain, le second grâce au caractère presque sacré du pacte qui transforme d’un coup la multitude en corps Et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout […] À l’instant […], cet acte d’association produit un corps moral et collectif […], lequel reçoit de ce même acte son unité, son moi commun, sa vie et sa volonté » Contrat social livre I, chapitre iv ; c’est nous qui soulignons. Mais cette transmutation initiale est tout aussi miraculeuse que celle qui permet de passer de la multiplicité des volontés particulières à la volonté générale cf. Contrat social, livre II, chapitre iii. Malgré les nombreuses explications convaincantes qui ont été données de ces deux opérations cf. R. Derathé, Rousseau et la science politique de son temps, op. cit., A. Philonenko, Jean-Jacques Rousseau et la pensée du malheur, Vrin, 1984, on ne peut nier que la pensée de Rousseau demeure aporétique, en raison de son point de départ individualiste, ainsi que le met en évidence l’intervention du législateur Contrat social, livre II, chapitre vii. Il nous semble qu’en revanche Hegel évite cette impasse parce que son point de départ est situé dans l’histoire et dans la société. Comme c’est le cas chez Rousseau. C’est parce qu’il croit que l’homme n’est pas essentiellement, originellement et exclusivement producteur, mais aussi un être parlant homo loquax, que Habermas a consacré une grande partie de sa philosophie à la communication et à l’herméneutique. Il s’intéresse non seulement à la manière dont les signes renvoient au sens, mais également à la façon dont une communauté peut voir son rapport à son histoire ou à elle-même obscurci, et au fait qu’elle a besoin, pour se parler, de s’accorder sur un certain nombre de règles qui permettent l’exercice même de la parole. C’est encore une fois le schème de l’équilibre qui domine, équilibre adéquat entre des revendications concurrentes », Théorie de la justice, op. cit., p. 36. Ce schème est évidemment profondément économique. La notion même de voile d’ignorance et de justice procédurale renvoie à l’économie, comme le montre cette référence à Hayek, cité par Dupuy dans Le Sacrifice et l’Envie, op. cit., p. 227 C’est seulement parce que nous ne pouvons prédire le résultat effectif de l’adoption d’une règle déterminée que nous pouvons admettre l’hypothèse qu’elle augmentera les chances de tous également. Que ce soit l’ignorance du résultat futur qui rend possible l’accord sur les règles […], c’est ce que reconnaît la pratique fréquente qui consiste à rendre délibérément imprévisible un résultat, afin de rendre possible l’accord sur une procédure… » J. Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 38. C’est nous qui soulignons. Parmi toutes les conceptions traditionnelles, je crois que c’est celle du contrat qui se rapproche le mieux de nos jugements bien pesés sur la justice et qui constitue la base morale qui convient le mieux à une société démocratique », écrit Rawls, ibid., p. 20. La justice sociale est l’application du principe de prudence rationnelle à une conception du bien-être du groupe considéré comme un agrégat », ibid., p. 50. C’est parce qu’il proposait une synthèse tellement délicate que Rawls a été introduit et surtout très commenté en France, en particulier après la publication d’un rapport du CERC, en 1989, montrant que les inégalités avaient fortement augmenté en France dans les années 1980 Les Revenus des Français, le tournant des années 80, Documents du CERC, no 94. Rawls fut opportunément cité dans un document de travail du Commissariat général du Plan intitulé Inégalités 90, l’année suivante, pour illustrer le fait que certaines inégalités étaient tout à fait supportables, alors que d’autres ne l’étaient pas Des réflexions théoriques récentes, pouvait-on lire dans ce document, permettent de porter un regard nouveau sur les inégalités considérée avant la crise comme un bien en soi, la réduction des inégalités apparaît aujourd’hui comme une question plus complexe. » Toutes les inégalités ne doivent pas être combattues, bien au contraire. Sur l’introduction de Rawls en France et les diverses interprétations dont il a été l’objet, on pourra lire B. Théret, “Le Rawlsisme’ à la française”, le marché contre l’égalité démocratique ? », Futur antérieur, no 8, hiver 1991, et Y. Roucaute, Rawls en France », in L’Évolution de la philosophie du droit en Allemagne et en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, PUF, 1991. Ce dernier écrit, p. 213 C’est l’époque où l’on commence à croire, sur fond de ruine des dérivés du léninisme, que Rawls pourrait être un atout non négligeable pour penser dans le “libéralisme” devenu hégémonique, mais à gauche. » Il poursuit, p. 223 Les intellectuels “de gauche” n’acceptaient pas avant 1982 une théorie qui légitimait l’inégalité sociale, marquée du sceau du lieu culturel de sa production nord-américaine ; les libéraux français voyaient dans le principe de différence celui de la redistribution, et donc l’interventionnisme de l’État. […] D’où le succès la référence à Rawls n’est guère dissociable d’une double crise qui coïncide en quelques années. » Sur tous ces auteurs, on pourra lire Dupuy, Ph. Van Parijs, A. Sen, déjà cités, et aussi Kervegan, Y a-t-il une philosophie libérale ? Remarques sur les œuvres de J. Rawls et F. von Hayek », Rue Descartes, no 3, 1992, ainsi que Individu et justice sociale, autour de John Rawls, Seuil, coll. Points », 1988. F. von Hayek, Droit, législation, liberté, tome I, PUF, 1986, chapitre v. K. Polanyi, La Grande Transformation, op. cit., chapitre v. Dans ce chapitre, ainsi que dans les deux précédents, Polanyi met bien en évidence que c’est ce schème autorégulateur qui caractérise l’économie. Il écrit, p. 88 La société est gérée en tant qu’auxiliaire du marché. […] Au lieu que l’économie soit encastrée dans les relations sociales, ce sont les relations sociales qui sont encastrées dans le système économique. » P. Batifoulier, L. Cordonnier, Y. Zenou, Le don contre-don, approche économique et approche de la sociologie », Revue économique, septembre 1992 ; B. Reynaud, Théorie des salaires, op. cit., et Le Salaire, la Règle et le Marché, op. cit. Ibid. Voir les ouvrages de J. Elster, Leibniz et la formation de l’esprit capitaliste, Aubier, 1975 ; Karl Marx, une interprétation analytique, PUF, 1989 ; et la revue Actuel Marx, no 7 Le marxisme analytique anglo-saxon ». Pour une bibliographie et une analyse de l’institutionnalisme américain, voir L. Bazzoli, T. Kirat, Villeval, Contrat et institutions dans la relation salariale pour un renouveau institutionnaliste », Travail et Emploi, no 58, 1994. Sur Commons, voir note ronéotée, L. Bazzoli, La création négociée et pragmatique de règles. Apport de l’analyse institutionnaliste de Commons et enjeux d’une action collective régulatrice du rapport salarial », avril 1993. Voir par exemple M. Lallement, Théorie des jeux et équilibres sociaux », Revue du Mauss, no 4, second semestre 1994. A. Sen, Éthique et économie, op. cit., voir tout le chapitre ii, Jugements sur l’économie et philosophie morale ». A. Sen écrit, p. 45 Par conséquent, puisque la thèse de l’utilité en tant que seule source de valeur repose sur l’assimilation de l’utilité et du bien-être, on peut la critiquer pour deux raisons 1. parce que le bien-être n’est pas la seule valeur ; 2. parce que l’utilité ne représente pas correctement le bien-être. » F. Fourquet, Richesse et puissance, op. cit., p. 261. Il s’agit là d’une formule bien connue de Jean Bodin. Chapitre IX. Réinventer la politique sortir du contractualisme Il est de l’intérêt public de corriger par une bienfaisance réfléchie les maux résultant des mauvaises institutions qui ont maintenu et propagé la pauvreté », Comité de mendicité de la Constituante, Quatrième rapport, 1790. Voir aussi Barthe, Pauvretés et État-providence », art. cit. Le rapport de la Commission de l’assistance et de la prévoyance publique, rédigé par A. Thiers en 1850, est un bon exemple de cette doctrine officielle. Par exemple Il importe que cette vertu [la bienfaisance], quand elle devient, de particulière, collective, de vertu privée, vertu publique, conserve son caractère de vertu, c’est-à-dire reste volontaire, spontanée, libre enfin de faire ou de ne pas faire, car autrement elle cesserait d’être une vertu pour devenir une contrainte. » Voir aussi Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit., p. 258-270. E. Durkheim, La Division sociale du travail, op. cit. Et, en particulier, évidemment les déchirements » de notre système de protection sociale entre deux conceptions, l’une relevant de l’assurance et l’autre de la solidarité, cf. Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit., p. 255. P. Laroque nous a confirmé qu’il s’agissait bien, en 1945, de mettre en place un véritable système de sécurité sociale couvrant la totalité de la population. Voir des extraits de l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945, in Join-Lambert, Politiques sociales, op. cit., p. 276. On y lit notamment Le problème qui se pose alors est celui d’une redistribution du revenu national destinée à prélever sur le revenu des individus favorisés les sommes nécessaires pour compléter les ressources des travailleurs ou des familles défavorisées. […] Envisagée sous cet angle, la sécurité sociale obligatoire appelle l’aménagement d’une vaste organisation d’entraide obligatoire. » P. Rosanvallon, La Crise de l’État-providence, op. cit. L’opposition Gesellschaft/Gemeinschaft a été analysée par F. Tönnies, in Communauté et société. Catégories fondamentales de la société pure, Retz, 1977. Voir aussi L. Dumont, Essais sur l’individualisme, op. cit. Kant, Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique, opuscule écrit en 1784, repris avec une série d’autres textes dans Opuscules sur l’histoire, GF-Flammarion, 1990. L’expression insociable sociabilité » est utilisée par Kant ; elle désigne l’inclination des hommes à entrer en société, qui est cependant doublée d’une répulsion générale à le faire, menaçant constamment de désagréger cette société ». Aristote, La Politique, op. cit., livre I, chapitre i, 1252a. Aristote ajoute dans le livre I, chapitre ii, 1252b-1253a Enfin, la communauté formée de plusieurs villages est la cité au plein sens du mot. […] Ainsi formée au début pour satisfaire les seuls besoins vitaux, elle existe pour permettre de bien vivre. C’est pourquoi toute cité est un fait de nature. […] La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et l’homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l’humanité. » On se reportera également aux analyses de E. Benveniste consacrées à la différence entre la cité grecque et la civitas romaine la polis grecque est première et fonde la relation d’appartenance qui définit le citoyen ; la civitas romaine est seconde par rapport aux citoyens, c’est la totalité additive des cives. Elle apparaît donc comme une sommation, écrit Benveniste, et elle réalise une vaste mutualité. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, tome II, Gallimard, coll. Tel », 1974, chapitre xx, p. 272-280. Voir sur ce point les nombreuses analyses d’I. Berlin, Éloge de la liberté, Presses-Pocket, 1990 ; Le Bois tordu de l’humanité, Albin Michel, 1992, et À contre-courant. Essais sur l’histoire des idées, Albin Michel, 1988. En 1985, J. Rawls précisait sa pensée, écrivant [La justice politique] doit tenir compte d’une diversité de doctrines et de la pluralité des conceptions du bien qui s’affrontent et qui sont effectivement incommensurables entre elles, soutenues par les membres des sociétés démocratiques existantes », in Individu et justice sociale, op. cit., p. 281. Sur cette interprétation, et pour la contredire, voir en particulier sur Hegel, E. Weil, Hegel et l’État, op. cit. ; et sur Marx, la préface de M. Rubel aux Œuvres de Marx, Gallimard, coll. La Pléiade », op. cit. ; son ouvrage, Karl Marx, essai de biographie intellectuelle, Rivière, 1971 ; et M. Henry, Marx, 2 tomes, Gallimard, 1976. Ces derniers distinguent fortement la pensée de Marx du marxisme. Les exemples sont multiples. Parmi les plus fameux, on retiendra les ouvrages de F. von Hayek, et plus encore ceux de K. Popper, en particulier La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 1979, dans lequel Popper fait de Hegel l’ancêtre du totalitarisme. Mais, d’une manière plus générale, une très grande partie des travaux philosophico-logiques anglo-saxons sont destinés, depuis le début du xxe siècle, à démontrer l’inanité des propos de la métaphysique allemande. Dans ses Essais sur l’individualisme, L. Dumont propose un lexique dans lequel on peut lire qu’ on désigne comme holiste une idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain ». Or, toute la thèse de L. Dumont consiste à dire qu’une société qui n’est pas conçue comme une agrégation est holiste, donc opprime l’individu… L. Dumont développe dans cet ouvrage comme dans d’autres une interprétation de Hegel qui passe à côté de l’apport véritable de celui-ci, et qui le confond avec la grande masse des holistes ». Voir en particulier Genèses II », in Essais sur l’individualisme, op. cit., où L. Dumont interprète les tentatives allemandes exclusivement comme une renaissance de l’universitas. L. Dumont, Homo aequalis, op. cit., p. 134. Nous nous appuyons largement sur ce livre, car c’est, nous semble-t-il, l’un des mieux connus des responsables politiques et administratifs. C’est un classique qui constitue pour beaucoup un bon résumé de la théorie politique actuelle et dont se sont également inspirés un certain nombre d’essayistes. Théorie de la justice, op. cit., p. 53. Ibid., p. 92. Ibid. Rawls écrit également que les institutions les plus importantes sont la protection légale de la liberté de pensée et de conscience, l’existence de marchés concurrentiels ; la propriété privée des moyens de production et la famille monogamique en sont des exemples ibid., p. 33. Dupuy, Le Sacrifice et l’Envie, op. cit. Toute la philosophie hégélienne du droit est une critique de l’idée de contrat, de même que de l’individualisme et du droit abstrait sur lesquels cette idée se fonde la volonté pleinement autonome et l’individu du droit romain ou de la philosophie du xviiie siècle ne sont que des abstractions. Il n’y a d’individu que pleinement incarné dans une société, de volonté que déjà à l’œuvre dans le monde, de contrat que dans la société. Hegel, Précis de l’Encyclopédie des sciences philosophiques, Vrin, 1970, § 495. Voir aussi Principes de la philosophie du droit, op. cit., 75 et l’article de G. Planty-Bonjour, Majesté de l’État et dignité de la personne selon Hegel », in L’Évolution de la philosophie du droit…, op. cit., p. 7. Hegel, Principes de la philosophie…, op. cit., § 258. Cf. A. Wellmer, Modèles de la liberté dans le monde moderne », Critique, juin-juillet 1989, p. 506 et suivantes. En ce qui concerne Hegel, les exemples sont innombrables. On retiendra Le droit de la particularité du sujet à trouver sa satisfaction ou, ce qui revient au même, le droit de la liberté subjective constitue le point critique et central qui marque la différence entre les Temps modernes et l’Antiquité », in Principes de la philosophie…, op. cit., § 124 ; ou encore Il faut évaluer comme quelque chose de grand le fait qu’aujourd’hui l’homme en tant qu’homme est considéré comme titulaire de droits en sorte que l’être humain est quelque chose de supérieur à son statut. Chez les Israélites, avaient des droits, seulement les Hébreux, chez les Grecs, seulement les Grecs libres, chez les Romains seulement les Romains et ils avaient des droits dans leur qualité d’Hébreux, de Grecs, de Romains, non en leur qualité d’hommes en tant que tels. Mais à présent, comme source du droit, sont en vigueur les principes universels, et ainsi dans le monde a commencé une nouvelle époque », cité par G. Planty-Bonjour, Majesté de l’État… », art. cit. C’est ce que tend à démontrer toute la philosophie de Hegel non seulement l’individu abstrait que décrivent les philosophies individualistes ou l’économie du xviiie siècle n’existe pas, l’individu n’existe qu’incarné dans une communauté, une langue, un territoire, des institutions politiques, mais, de plus, l’État est ce qui respecte infiniment l’individu Le principe des États modernes a cette force et cette profondeur prodigieuse de permettre au principe de la subjectivité de s’accomplir au point de devenir l’extrême autonome de la particularité personnelle et de le ramener en même temps dans l’unité substantielle, et ainsi de conserver en lui-même cette unité substantielle », Principes de la philosophie…, op. cit., § 260. Tocqueville dépasse, lui aussi, l’étape de la liberté négative comme seul principe et tente de la concilier avec l’idée d’une communauté politique. C’est pour cette raison que sa conception fait place à l’idée d’un bien commun et d’individus discutant et débattant de la conception de ce bien commun La liberté négative telle qu’elle s’incarne dans les structures de la société civile est ici transformée dans la liberté positive ou rationnelle de citoyens qui agissent ensemble ; cette liberté positive ou rationnelle revient à une forme de restauration de ces liens communautaires entre les individus dont l’absence définit leur existence en tant que propriétaires indépendants. […] La liberté seule [peut] retirer les citoyens de l’isolement dans lequel l’indépendance même de leur condition les fait vivre, pour les contraindre à se rapprocher les uns des autres. […] Elle les réunit chaque jour par la nécessité de s’entendre, de se persuader, et de se complaire mutuellement dans la pratique d’affaires communes. […] Seule elle fournit à l’ambition des objets plus grands que l’acquisition des richesses », L’Ancien régime et la Révolution, GF-Flammarion, 1988, p. 94-95. I. Berlin, Éloge de la liberté, op. cit., p. 50. Les spécialistes de Hegel ont montré depuis longtemps les confusions sur lesquelles s’appuyaient certaines lectures de Hegel il est bien au contraire, le penseur antinationaliste par excellence. Il est également le concepteur de l’État moderne, un État fortement centralisé dans son administration, largement décentralisé en ce qui concerne les intérêts économiques, avec un corps de fonctionnaires de métier, sans religion d’État. On lira sur tous ces points, outre les ouvrages déjà cités de J. Hippolyte, K. Papaionnou et E. Weil, une série d’articles dans les Cahiers internationaux de sociologie, 1948, dont celui de J. Hippolyte, La conception hégélienne de l’État et sa critique par Marx ». Voir Marx, Critique de la philosophie politique de Hegel, écrit en 1843 et publié dans le tome I de La Pléiade, qui est un commentaire acéré des Principes de la philosophie du droit de Hegel et dont le nœud est précisément l’articulation entre société civile et État. La critique de Marx est extrêmement pertinente elle montre que, chez Hegel, les individus, même s’ils sont reconnus, ne participent pas réellement à la détermination des objectifs de l’État, que les ordres intermédiaires ne servent qu’à peu de chose et que la société civile n’a aucun moyen de se protéger des débordements de l’État voir en particulier p. 943. Mais Marx, de ce fait, en déduit qu’il faut supprimer l’État, et non le réformer. C’est la Nation qui, dans le préambule de la Constitution de 1946, assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement, garantit à l’enfant, à la mère et au vieux travailleur la protection sociale, le repos et les loisirs, proclame la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges… Dans cette tradition, on compte P. Rosanvallon, avec La Crise de l’État-providence, op. cit., mais aussi I. Illich, qui critique l’État au nom des valeurs d’usage ou du domaine vernaculaire ; voir en particulier Le Travail fantôme, Seuil, 1981 ; Le Chômage créateur, Seuil, 1977 ; Libérer l’avenir, Seuil, coll. Points », 1971 ; La Convivialité, Seuil, 1975 ; mais aussi le premier » Habermas, par exemple La Technique et la Science comme idéologie », Gallimard, 1973. La quatrième de couverture de La Crise de l’État-providence indiquait ainsi Cet essai se propose de substituer une triple dynamique de la socialisation, de la décentralisation et de l’autonomisation à la logique classique de l’étatisation du social. » Sur le développement des inégalités dans notre pays, voir en particulier Documents du CERC, Les Français et leurs revenus, le tournant des années 80, no 94, La Documentation française et le rapport Santé 2010, atelier Les inégalités devant la santé », La Documentation française, 1993. C’est l’idée développée depuis trente ans par Habermas et reprise des Lumières accroître l’espace public, qui est le seul espace réellement politique. Sur ce point, voir la thèse de Ferry, Habermas. L’éthique de la communication, PUF, 1987, et ce que Ferry dit des premiers travaux de Habermas consacrés à cette notion. L’expression est de Habermas, La crise de l’État-providence », in Écrits politiques, op. cit., p. 120. Habermas précisait auparavant qu’il n’y avait pas de solution de rechange perceptible à l’État social. Voir Nancy, La Communauté désœuvrée, Christian Bourgois, 1990. Le projet de la modernité est le projet d’une telle réconciliation entre la liberté négative et la liberté communautaire. Il faut dire contre Marx et contre Hegel que ce projet est un projet en marche, sans solutions définitives. […] Contre le libéralisme, il faut dire que, sans la réalisation d’une liberté communautaire et rationnelle, et donc d’une forme démocratique de vie éthique, la liberté négative ne peut devenir qu’une caricature ou qu’un cauchemar », A. Wellmer, Modèles de la liberté dans le monde moderne », art. cit. C’est une des grandes idées de Hannah Arendt que de penser que la sphère de l’action politique est son propre contenu ; autrement dit, c’est en débattant du bien social que l’on fait le lien social ; cf. Essai sur la révolution, Gallimard, 1967. Il ne s’agit évidemment pas de ne plus tenir compte des contraintes que nous impose notre intégration dans un système d’échanges mondiaux et dans leurs institutions, mais de revoir progressivement la place que tient l’économie dans nos sociétés modernes et de renverser le rapport économie/politique en discutant des critères de richesses considérés, du contenu de la croissance, du périmètre pris en compte pour le calcul de la rentabilité… Il ne s’agit pas de rêver » ou de prendre nos désirs pour des réalités, mais de redonner à l’économie sa place celle d’une technique qui fait des calculs et propose différentes solutions, en affichant ses critères, et dont les résultats et les hypothèses de travail sont ensuite soumis à discussion. Et donc d’engager une véritable réforme de notre comptabilité nationale de la soumettre à discussion et à examen, de ne pas laisser les économistes décider de ce qui est ou n’est pas une richesse pour la société. Dans Le Désenchantement du monde, Gallimard, 1985, M. Gauchet explique que le rôle de l’État est désormais de s’adapter totalement aux souhaits des citoyens L’État démocratique – bureaucratique – progresse à la mesure de son renoncement même à toute vue prescriptive de l’avenir et de l’accentuation de son ouverture représentative à la multiplicité mouvante des aspirations et des initiatives de ses administrés », p. 262. C’est sans doute avoir là une idée insuffisante de la fonction de l’État. La fonction de médiation ne peut se réduire à une fonction de reflet. La liste de tous les éléments que devrait publier l’État comptes certifiés, analyses des revenus et de leurs écarts, analyses des dépenses publiques avec des comptabilités analytiques intégrées, etc. serait fixée dans une loi d’un caractère particulier. Le rôle de l’État en matière de publicité » est essentiel publier selon une périodicité donnée, et en les rendant accessibles, les données nécessaires au débat social, sur la protection sociale, les différentes structures chargées de la gestion d’un intérêt public ; publier les mêmes données concernant son propre fonctionnement, de manière très précise et sans qu’aucun gouvernement puisse y échapper ; donner des informations sur la structure et l’évolution des revenus et des avantages divers des différentes catégories socioprofessionnelles doit permettre d’améliorer la participation des citoyens au débat public il n’y a aucune raison que seuls les fonctionnaires spécialisés aient accès à ces informations. L’État n’a pas suffisamment recours à cette procédure. Ainsi par exemple, la loi Debré de 1958 sur les hôpitaux prévoyait que des cliniques privées pourraient obtenir des concessions de la part de l’État, c’est-à-dire prendre en charge un intérêt public, en assurer la gestion, en suivant les objectifs fixés par l’État. Au lieu de cela, se sont développés, soit des hôpitaux publics gérés de manière publique », soit des cliniques privées, dont les obligations étaient et restent très peu pesantes et différentes de celles qu’avait à remplir le public incapacité de l’État à fixer des objectifs et à évaluer régulièrement leur réalisation, incapacité des acteurs privés à se plier aux contraintes issues de la prise en charge d’un intérêt public… Qui est responsable ? Un raisonnement identique pourrait être tenu aujourd’hui en ce qui concerne la gestion de la Sécurité sociale distinguer intérêt public et gestion publique, distinguer responsabilité générale et gestion quotidienne, cela est aujourd’hui essentiel. En particulier de l’ENA, de manière à ce que cette école forme des fonctionnaires et non des hommes politiques. Dans cet ordre d’idées, Habermas écrit Les sociétés modernes disposent de trois ressources à partir desquelles elles peuvent subvenir à leurs besoins de régulations l’argent, le pouvoir et la solidarité. Il serait nécessaire qu’il y ait un rééquilibrage de leurs sphères d’influence », La crise de l’État-providence », in Écrits politiques, op. cit., p. 122. H. Bartoli, Science économique et travail, op. cit., Le travail, source de droit », p. 51-54. C’est une notion qui a été répandue en France par la traduction du livre de J. Rawls. Le terme fairness est traduit par équité » et J. Rawls parle de la théorie de la justice comme équité » voir p. 29, par exemple. Les sommes dépensées pour permettre aux familles disposant des plus hauts revenus d’utiliser une aide à domicile pour faire garder leurs enfants sont évidement proportionnellement beaucoup plus élevées qu’une bonne politique d’équipements publics. Les équipements publics ont vu leur développement entravé en France, à la différence par exemple des pays scandinaves, parce qu’ils pèsent sur le budget de l’État et obligent à recourir à l’impôt. On préfère les solutions individuelles. Mais, comme on l’a dit, ces services publics ne doivent pas nécessairement être gérés par l’État ; leur inscription comptable peut être revue si ce n’est que cela… ; enfin, le tabou pesant sur l’impôt devrait faire aujourd’hui l’objet d’une pédagogie active l’impôt sert à financer des fonctions collectives, il faut donc, et il suffit, qu’il soit bien utilisé. Pour cela, il reste à fixer des règles d’information et à améliorer la participation des citoyens au choix des priorités et à la connaissance de ce à quoi l’argent public a été employé. Voir le numéro spécial de la revue Droit social, no 3, mars 1990, sur ce thème, et B. Théret, Le “rawlsisme” à la française », art. cit. La régression à l’infini à laquelle se livre Rawls Théorie de la justice, op. cit., p. 30 et suivantes est la suivante – une situation est équitable parce qu’elle a été choisie dans des conditions équitables. Cette procédure aboutit, en fait, à un résultat semblable à celui d’un tirage au sort. Ce qui est évident, c’est qu’ordre naturel ou tirage au sort reviennent au même il s’agit d’éviter à tout prix le choix et la discussion, ainsi que la constitution d’un intérêt commun. Chapitre X. Désenchanter le travail Le terme a été popularisé par Weber, qui utilise la formule désenchantement du monde » à de nombreuses reprises dans son œuvre. Le terme entzaubern, qui signifie désensorceler, désenchanter, briser le charme », était utilisé dans le corpus romantique, en particulier par Goethe pour désigner le résultat de l’Aufklärung. Les Lumières, l’utilisation de la raison ont vidé le monde de ses forces magiques et mystérieuses, ont ôté la dimension énigmatique du monde pour le soumettre aux sèches catégories de l’entendement. M. Weber, L’Éthique protestante…, op. cit., p. 117. Voir aussi C. Colliot-Thèlène, Max Weber et l’histoire, PUF, coll. Philosophies », 1990, p. 52 et suivantes. Habermas, La crise de l’État-providence », in Écrits politiques, op. cit., p. 110 ; voir aussi C. Offe, Le travail comme catégorie de la sociologie », art. cit. Le fait de travailler, en lui-même, ne peut guère être pris comme point de départ de la formation de groupes culturels, organisationnels et politiques », et B. Guggenberger, qui, dans Wenn uns die Arbeit ausgeht, op. cit., p. 94, parle d’ anachronistiche Arbeitszentralität », c’est-à-dire de l’anachronique centralité du travail ». Il écrit aussi Le travail manque à la société du travail. » Qu’il s’agisse de Nietzsche, de Weber, de Freud, de Hannah Arendt, de Benjamin, de Bloch, de Habermas, de Hans Jonas, mais aussi de Heidegger. L’école de Francfort, au carrefour des héritages marxistes, freudiens et heideggeriens, avait tenté de donner à la philosophie une telle ambition celle d’être une philosophie sociale, appuyée sur des études sociologiques et statistiques et capable de déboucher sur une pratique. Voir en particulier Généalogie de la morale. Pour comprendre l’entreprise généalogique qui caractérise la pensée de Nietzsche, voir, de J. Granier, Le Problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, op. cit., en particulier les chapitres ii et iii sur les notions de généalogie et de critique. Nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité », écrit Nietzsche, qui décrit l’art comme un voile jeté sur la vérité. Créer, c’est voiler la vérité de la nature. L’art est la catégorie générale sous laquelle Nietzsche comprend toutes les formes que prend la faculté artiste, la faculté de créer de l’homme l’art, c’est l’activité plastique de la volonté de puissance. Identité de nature entre le conquérant, le législateur et l’artiste – la même façon de se traduire dans la matière, la plus extrême énergie. […] Transformer le monde, afin de pouvoir tolérer d’y vivre, voilà l’instinct moteur », in Volonté de puissance, tome II, livre IV, § 118, cité par J. Granier, Le Problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, op. cit., p. 524. On lira également le Nietzsche de Heidegger, Gallimard, 1980, qui illustre parfaitement ceci. H. Achterhuis, La responsabilité entre la crainte et l’utopie », in Hans Jonas, Nature et responsabilité, op. cit., p. 44. Voir aussi, du même auteur, La critique du modèle industriel comme histoire de la rareté », Revue philosophique de Louvain, 1989, no 81, p. 47-62. Telle est la genèse de la civilisation » que présentent Nietzsche ou Freud. Certes, nous n’en sommes pas au point où l’ensemble des apprentissages éducatifs devront être déterminés par leur capacité à rendre les facultés humaines totalement disponibles pour le système productif ce qui n’est pas grave, nous rétorquera-t-on, puisque le système productif est productif de tout, y compris des besoins humains les plus élevés… et où les résultats issus des recherches en sciences cognitives seront utilisés à grande échelle pour rendre cette opération la plus rentable possible, mais nous sommes sur la bonne voie… Voir l’ensemble des travaux réalisés par le CNAM au moment de son bicentenaire, en particulier le colloque Changement technique, mondialisation, emploi – où allons-nous ? », 17 et 18 novembre 1994, et, dans celui-ci, le support écrit intitulé Une nouvelle dynamique pour l’emploi », dont l’ambition est le retour au plein emploi. Voir aussi Banque Indosuez, Conjoncture mensuelle, novembre 1994, no 59, Le chômage idées fausses et vraie solution ». Ibid. Club de Rome, note d’O. Giarini, Some Considerations on the Future of Work. Redefining Productive Work », OCDE-Scénario-Emploi, juin 1994. La logique d’un tel développement, c’est que le temps d’un cadre est infiniment plus précieux que le temps d’une personne qui a fait trois ans ou cinq ans de moins d’études, ou dont la qualification est inférieure. Le cadre préfère donc consacrer un dixième ou un vingtième du salaire qu’il gagne en un mois à payer une personne à disposition chez lui. Les deux temps de ces deux personnes n’ont pas la même valeur, et pourtant l’échange est considéré comme égal. Dès lors, on conçoit que l’investissement initial importe énormément. L’éducation apparaît comme un investissement qui rapportera vingt ans plus tard. L’idée d’une société de serviteurs, d’une néodomesticité a été développée par A. Gorz à de nombreuses reprises. Elle paraît absolument évidente, sauf si l’on continue à considérer que les personnes disposant de moyens financiers font un cadeau aux personnes moins qualifiées en leur donnant » un travail. M. Godet, Le Grand Mensonge l’emploi est mort, vive l’activité !, Fixot, 1994. Voir C. Dejours, Entre souffrance et réappropriation, le sens du travail », art. cit. Il serait vain d’essayer de construire une cohésion vitale, en tant qu’unité subjectivement significative, en partant de la sphère du travail. […] Discontinuité dans la biographie de travail et part de temps de travail diminuée sur l’ensemble de la vie auront probablement pour effet de transformer le travail en fait parmi d’autres et de relativiser sa fonction comme point de repère pour l’identité personnelle et sociale », C. Offe, Le travail comme catégorie de la sociologie », art. cit. Expression de Habermas qui se situe dans la droite ligne du La vie est action, non production » d’Aristote, in La Politique, op. cit., livre I, chapitre iv, 1254a. Voir également le commentaire de cette expression par G. Markus philosophe de l’école de Budapest, Praxis et poeisis au-delà de la dichotomie », Actuel Marx, no 10, 1991. Les avis sur ce point sont très partagés certains soutiennent que le progrès technique va contribuer, au moins dans un premier temps, à supprimer de très nombreux emplois voir le colloque du CNAM cité, et un numéro spécial de Futuribles, consacré à l’allocation universelle et au partage du travail, no 184, février 1994, Pour ou contre le revenu minimum, l’allocation universelle, le revenu d’existence ? ». Des industriels affirment que 40 % des emplois seraient en Allemagne susceptibles d’être supprimés dès aujourd’hui, sans compter les réserves de productivité dans les services non marchands ; sur ce dernier point, voir l’article de B. Bruhnes, Le travail réinventé », in La France au-delà du siècle, L’Aube, DATAR, 1994. B. Guggenberger, Wenn uns die Arbeit ausgeht, op. cit., p. 123. Selon la théorie économique classique, le chômage doit se résorber dans la mesure où les personnes qui se trouvent brutalement déqualifiées doivent peu à peu se porter vers les nouveaux secteurs créateurs de produits et demandeurs de main-d’œuvre. C’est la thèse de Sauvy, dite du déversement ». Un certain nombre d’études macroéconomiques ont montré qu’une réduction du chômage était possible si certaines conditions étaient réalisées, comme une légère baisse des salaires, un remaniement de l’organisation du travail, le caractère massif de la réduction. Voir les études de l’OFCE et l’intervention de P. Artus, in actes du colloque Les réductions du temps de travail », CGP-DARES, La Documentation française, 1995. Il proposera au contraire une allocation universelle. Actuellement, un certain nombre d’auteurs soutiennent que l’importance de notre chômage vient de la surprotection qui est accordée à ceux qui ont un statut protecteur et, d’une manière générale, à ceux qui ont un emploi et dont les salaires ont augmenté. Parmi eux, certains ont développé l’idée que la diminution des statuts protecteurs accordés aux salariés baisse du SMIC, contrats précaires, petits boulots » très peu rémunérés, qui consisterait en une autre forme de partage développerait une pauvreté à l’américaine, c’est-à-dire tout un pan de la population vivant d’expédients. Dans les deux cas, la société est fortement segmentée et dans les deux cas aussi, la possession d’un travail permet de doubler la mise plus le travail est intéressant, bien payé, responsabilisant, etc., plus la protection et les avantages attachés sont grands. Sur le nombre de personnes en situation fragile » aujour-d’hui, voir Documents du CERC Centre d’études des revenus et des coûts, Précarité et risque d’exclusion en France, no 109, La Documentation française, troisième trimestre 1993 Au total, le nombre de personnes y compris conjoints et enfants qui échappent à la pauvreté ou à la précarité grâce aux différents mécanismes de notre protection sociale est aujourd’hui probablement de l’ordre de 12 à 13 millions. » Il faut néanmoins considérer ces chiffres avec précaution, car toute une partie de la fragilité ainsi mise en évidence n’est pas mesurée objectivement, mais ressentie subjectivement. De très nombreuses analyses ont été consacrées à l’allocation universelle depuis quelques années. On pourra en particulier consulter Y. Bresson, L’Après-salariat, Economica, 1984 ; un numéro spécial de la Revue Nouvelle, L’allocation universelle », avril 1985 ; Garantir le revenu, une des solutions à l’exclusion », Transversales Science Culture, mai 1992, no 3 ; Allocation universelle et plein emploi, l’inéluctable alliance », in Ph. Van Parijs, Reflets et perspectives de la vie économique, Bruxelles, 1994 ; et Futuribles, op. cit., février 94, no 184. Dans les années 1970, une partie des critiques contre le travail se faisaient du point de vue de la dignité de l’individu et au nom de celui-ci. Habermas, A. Gorz, Illich imaginaient la libération du travail aussi comme un retour à l’individu. Habermas et A. Gorz sont largement revenus sur ce point de vue depuis. Voir les ouvrages de J. Dumazedier, W. Grossin et l’ensemble des réflexions sur le temps libre en 1980, qui n’ont pas abouti après la mise en place éphémère d’un ministère du même nom. B. Guggenberger pose cette question et intitule l’un des chapitres de son livre La paresse des actifs ». Le problème, écrit-il, ce n’est pas l’ennui, c’est notre impatience, notre incapacité à rester tranquilles. » C’est nous qui traduisons. À combien d’heures doit être fixé le temps de travail de chacun ? Il s’agit d’une question qui a occupé beaucoup d’esprits. M. Johada se demande aussi De combien de travail l’homme a-t-il besoin ? », Braucht das Mensch die Arbeit » [L’homme a-t-il besoin du travail], in F. Niess, Leben Wir um zu arbeiten ? Die Arbeitswelt im Umbruch, Köln, 1984. B. Guggenberger pose la même question dans Wenn uns die Arbeit ausgeht, op. cit. Plan Texte Notes Citation Auteur Texte intégral 1 Philippe Besnard, Les pathologies des sociétés modernes », in Ph. Besnard, M. Borlandi et P. Vogt... Durkheim n’est visiblement pas à l’aise dans cette partie finale de son livre [le Livre III de La division du travail social], très courte par rapport aux deux précédentes et aussi bien moins élaborée […]. De là, sans doute, un certain manque de clarté dans la construction de cette dernière partie du livre et même dans l’identification des pathologies de la société moderne. »1 2 Le texte qui suit est partiellement repris et adapté de Charles-Henry Cuin, Durkheim et l’inégali ... 1Une question centrale de la sociologie durkheimienne est celle des conditions de l’ordre et de l’intégration dans un type de société caractérisé, d’une part, par un système de valeurs démocratique et, d’autre part, par la croissance de l’inégalité sociale sous l’effet du progrès inéluctable de la division du travail. Dans ses ouvrages de jeunesse, Durkheim croit trouver une réponse satisfaisante dans ce poncif classique de l’idéologie démocratique qu’est l’égalité des chances. Pourtant, au lieu de chercher à approfondir les conditions de réalisation de ce qu’il nomme lui-même l’ absolue égalité dans les conditions extérieures de la lutte », il va préférer s’orienter vers une analyse des conditions non plus socio-économiques mais socio-culturelles de l’acceptation de l’ordre social par les acteurs. En témoigne la place centrale accordée à l’éducation et, plus largement, à la socialisation dans les œuvres de maturité2. I. L’égalité des chances contre l’égalité des conditions 3 Émile Durkheim, De la division du travail [1893], Paris, 1973. Il s’agit du chapitre II du ... 4 Ibid., p. 369. 5 Ibid., p. 368. 2Durkheim n’est pas, à l’évidence, un sociologue de la stratification sociale. Dans La division du travail social, le thème de l’inégalité sociale occupe cependant une place privilégiée dans le traitement d’une de ses problématiques centrales – celle de la réalisation et du maintien de l’ordre social. Les guerres de classes » et autres conflits sociaux qui agitent les sociétés industrielles n’y sont pas seulement interprétés comme une conséquence de l’anomie chronique qui y règne, mais aussi comme un effet du caractère contraint » de la division du travail3. Par là, il faut entendre que le processus de la distribution des individus dans la structure des positions sociales ne respecte pas, ou pas assez, ni les capacités propres des intéressés leurs aptitudes et compétences ni leurs désirs leurs goûts et aspirations. Une telle harmonie entre les natures individuelles et les fonctions sociales »4 serait en effet une condition nécessaire pour que la satisfaction que chacun trouve dans l’accomplissement de son rôle social – et donc de la place qu’il occupe dans la société – l’empêche d’en désirer un autre et de mettre ainsi en cause l’ordre social établi Sans doute ne sommes-nous pas, dès notre naissance, prédestinés à tel emploi social; nous avons cependant des goûts et des aptitudes qui limitent notre choix. S’il n’en est pas tenu compte, s’ils sont sans cesse froissés par nos occupations quotidiennes, nous souffrons et nous cherchons un moyen de mettre un terme à nos souffrances. Or, il n’en est pas d’autre que de changer l’ordre établi et d’en refaire un nouveau. »5 6 Ibid., p. 370. 7 Voir Philippe Besnard, L’Anomie; ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depu ... 8 Ibid., p. 356. 9 Ibid., p. 369. 10 Ibid., p. 369. 3Durkheim est ainsi conduit à opposer à une forme contrainte » de la division du travail en fait du processus de la distribution des individus dans la structure sociale une forme spontanée » qui peut seule produire la solidarité sociale et prévenir les conflits sociaux. Cette spontanéité, précise-t-il, suppose non seulement que les individus ne sont pas relégués par la force dans des fonctions déterminées, mais encore qu’aucun obstacle, de nature quelconque, ne les empêche d’occuper dans les cadres sociaux la place qui est en rapport avec leurs facultés »6. Autant, dans le domaine des relations et des rapports sociaux, la société réclame une réglementation sans laquelle elle est menacée d’anomie7, autant le processus de la distribution sociale doit demeurer exempt de toute contrainte. Alors que, quelques pages plus tôt, Durkheim se faisait le chantre d’une réglementation suffisamment développée qui détermine les rapports mutuels des fonctions »8, il estime que c’est la plus totale liberté qui doit régir l’accès à ces fonctions et que rien ne doit gêner les initiatives des individus »9. Une fois la société organisée selon des règles propres à assurer l’harmonie des rapports sociaux nés de la division du travail, les destins individuels peuvent – et doivent – se déployer librement dans un espace social désormais contrôlé. La manière durkheimienne de résoudre l’antithèse classique entre individu et société est ici parfaitement balancée au premier est due la liberté de se mouvoir dans une structure sociale convenablement organisée et d’y réaliser ses aptitudes et ses goûts, à la seconde revient l’obligation d’assurer la coordination et la complémentarité des fonctions sociales et de déterminer non pas qui doit les occuper mais comment elles doivent être remplies. La solution retenue est donc à mi-chemin entre collectivisme et individualisme. Elle propose le modèle d’un individu libre dans une société forte, pour le plus grand profit des deux c’est ce que Durkheim appelle le socialisme ». À cette condition, en effet, l’harmonie entre les natures individuelles et les fonctions sociales ne peut manquer de se produire, du moins dans la moyenne des cas. Car, si rien n’entrave ou ne favorise indûment les concurrents qui se disputent les tâches, il est inévitable que ceux-là seuls qui sont les plus aptes à chaque genre d’activité y parviennent […]. Ainsi se réalise de soi-même l’harmonie entre la constitution de chaque individu et sa condition. »10 11 Émile Durkheim, La Science sociale et l’action, Textes réunis et présentés par Jean-Claude Filloux, ... 4Mais en quoi une telle procédure de distribution sociale, si visiblement favorable à la collectivité, l’est-elle également à l’individu ? La réponse de Durkheim est, ici, aussi lapidaire que péremptoire Normalement, l’homme trouve le bonheur à accomplir sa nature; ses besoins sont en rapport avec ses moyens ». Entendons par là que, si les mérites individuels sont justement récompensés, les besoins sont satisfaits du même coup puisque les besoins correspondent aux moyens qui ont permis de réaliser les accomplissements que la société égalitaire sait reconnaître et récompenser. Bref, comme l’exprime élégamment Filloux, On a les besoins que l’on mérite ! »11 12 Au même moment, dans la première tradition sociologique nord-américaine, ces deux options opposées ... 13 Émile Durkheim, De la division du travail, Op. cit., p. 371. 5La problématique durkheimienne est donc claire comment faire en sorte que s’établisse cette harmonie entre les natures individuelles et les fonctions sociales » jugée nécessaire à la satisfaction des individus et, par effet, à l’intégration de la société ? En théorie, deux solutions distinctes se présentent. La première est celle d’un libéralisme social absolu laissant libre cours à la concurrence dans laquelle les individus s’engagent pour la conquête des différentes positions sociales. La seconde est, à l’inverse, celle d’un interventionnisme tout aussi absolu garantissant que la distribution sociale s’effectue de telle manière que les différentes positions sociales soient allouées aux individus les plus aptes à les occuper12. Le dilemme est classique réussissent soit les plus forts soit les plus aptes. On ne saurait mieux qualifier la solution durkheimienne de ce dilemme que de sociale-démocrate ». Cette solution est en effet celle de l’égalité des chances que Durkheim, en termes fleurant leur néo-darwinisme, définit comme une absolue égalité dans les conditions extérieures de la lutte »13. En d’autres termes, la salutaire compétition des individus les uns avec les autres dans la course pour l’accès aux positions sociales doit pouvoir se livrer sans qu’aucun des concurrents ne jouisse de quelque avantage que ce soit sur les autres. À ce compte, non seulement chacun est récompensé selon ses seuls mérites propres mais, encore et surtout, par la grâce du caractère démocratique du processus par lequel elle s’opère, le résultat de la distribution sociale se voit investi d’une forte légitimité. Non seulement l’égalité des chances permet de préserver et de rationaliser le caractère fonctionnel de l’inégalité des conditions, mais elle rend celle-ci légitime. Elle a donc un double mérite d’une part elle fait coïncider aptitudes et fonctions, d’autre part elle confère à l’ordre ainsi constitué une valeur non plus seulement fonctionnelle mais également morale ». 6Et c’est bien cette légitimité – plus que le bonheur à accomplir sa nature » ! – qui confère à l’égalité des chances son efficacité intégratrice. De fait, lorsqu’elle est réalisée dans un contexte de chances égales, l’inégalité des conditions se voit à la fois légitimée et valorisée légitimée car elle résulte alors de la mise en œuvre d’un idéal de justice en l’occurrence de justice distributive, valorisée car elle récompense les mérites des uns et sanctionne négativement l’absence de mérite des autres. 14 […] les progès de la division du travail impliquent […] une inégalité toujours croissante […] », ... 15 Ibid., p. 370. 7La démonstration durkheimienne semble donc avoir atteint son but. Ce n’est pas l’inégalité sociale en elle-même qui est tenue pour responsable des ruptures de la solidarité sociale et, partant, des conflits sociaux mais le fait que les inégalités sociales ne soient pas congruentes avec les inégalités naturelles ». L’inégalité est en effet inscrite, comme conséquence normale de la division du travail, dans la nature même des sociétés polysegmentaires14. Elle est traitée par Durkheim comme une donnée non problématique. Les classes sociales – les castes mêmes – sont des modes d’organisation de la division du travail qui sont parfaitement légitimes tant qu’ils demeurent fondé[s] dans la nature de la société », c’est-à-dire lorsque les règles de la distribution sociale ne font que structurer socialement les inégalités naturelles La contrainte ne commence que quand la réglementation, ne correspondant plus à la nature vraie des choses et, par suite, n’ayant plus de base dans les mœurs, ne se soutient que par la force »15. Non, la thèse durkheimienne est bien que ce n’est pas l’inégalité des conditions qui menace la solidarité organique mais bien les conditions dans lesquelles cette inégalité d’une part se constitue et, d’autre part, se maintient. Et l’égalité des chances est l’instrument par lequel peut se réaliser cette adéquation entre ce que les hommes sont naturellement » et ce qu’ils deviennent socialement ». 16 Ibid., pp. 371-372. 8On s’attendrait donc à ce que Durkheim développe et approfondisse une analyse des conditions de réalisation de cette providentielle égalité des chances. Celui-ci n’identifie pourtant comme seul et unique obstacle à cette réalisation que l’institution de l’héritage – plus précisément de l’héritage patrimonial […] alors même qu’il ne reste, pour ainsi dire, plus de trace de tous ces vestiges du passé, la transmission héréditaire de la richesse suffit à rendre très inégales les conditions extérieures dans laquelle la lutte s’engage »16. 17 Émile Durkheim, De la division du travail, op. cit., p. 371. 9Pourtant, plus on avance dans la lecture de La Division du travail social – ou même du Socialisme – et plus il devient clair que, sous l’expression d’ égalité dans les conditions extérieures de la lutte », il y a davantage que la seule notion d’égalité des chances dans l’accès aux positions sociales. Il faut en effet ajouter à la dimension distributive de ce principe de justice une dimension rétributive selon laquelle les différentes fonctions sociales ne doivent pas seulement être librement accessibles par chacun indépendamment de son origine sociale mais doivent en outre recevoir des gratifications matérielles et symboliques proportionnelles aux services rendus. Durkheim précise en effet que cette égalité dans les conditions extérieures de la lutte […] consiste non dans un état d’anarchie qui permettrait aux hommes de satisfaire librement toutes leurs tendances bonnes ou mauvaises, mais dans une organisation sociale où chaque valeur sociale, n’étant exagérée ni dans un sens ni dans l’autre par rien qui lui fût étranger, serait estimée à son juste prix »17. 18 Ibid., p. 377. 19 Ibid., p. 378. 10Durkheim est infiniment plus disert sur les conditions de la réalisation de cette dernière exigence que sur celles de la précédente. Pour assurer l’égalité contractuelle des rapports sociaux, il faut en effet que les valeurs échangées par les individus des biens et des services les uns contre les autres soient équivalentes, c’est-à-dire que le prix de l’objet échangé soit en rapport avec la peine qu’il coûte et les services qu’il rend ». Si cette valeur n’est pas mathématiquement » calculable, la conscience publique » ou encore l’ opinion » possède un sentiment assez précis de cette valeur et est donc en mesure de juger sainement du degré d’équité de l’échange. Mais ce n’est heureusement pas tout la thèse durkheimienne est que, si le consentement des contractants est libre de toute pression extérieure s’ils sont placés dans des conditions extérieures égales »18, alors l’échange est équitable et les individus ne reçoivent qu’en fonction du coût réel de l’objet échangé. Si, au contraire, une classe de la société est obligée, pour vivre, de faire accepter à tous prix ses services, tandis que l’autre peut s’en passer grâce aux ressources dont elle dispose et qui pourtant ne sont pas nécessairement dues à quelque supériorité sociale, la seconde fait injustement la loi à la première. Autrement dit, il ne peut pas y avoir des riches et des pauvres de naissance sans qu’il n’y ait des contrats injustes »19. 11Ainsi, l’essentiel de l’analyse de l’analyse durkheimienne des causes de conflits sociaux tenant aux modalités selon lesquelles les mérites individuels sont à la fois reconnus par la manière dont le processus de la distribution sociale s’effectue et récompensés par le résultat de ce processus en termes de stratification sociale tient dans la dénonciation de la seule institution de l’héritage patrimonial, qui interdit l’égalité des chances et rend les rapports sociaux inéquitables. Le mérite de cette analyse n’est cependant pas mince, dans la mesure où elle parvient à dépasser l’aporie consubstantielle à toute idéologie de l’égalité des chances l’égalité des chances débouchant sur une inégalité des conditions qui, dans le même temps, en légitime le principe, il suffit de faire en sorte que les conditions d’arrivée d’une génération ne constituent les conditions de départ de la suivante. C’est ce que permettrait, en brisant le cercle vicieux de la reproduction socio-économique, la suppression de l’héritage patrimonial ! II. Les apories de la solution socio-économique et le choix de la solution socio-culturelle 20 Émile Durkheim, La famille conjugale » [1892], in Textes 3. Fonctions sociales et institutions, P ... 12Il est cependant douteux qu’il suffise de supprimer les inégalités économiques de naissance » pour supprimer du même coup les contrats injustes ». D’une part, il existe, à côté de la seule hérédité économique, bien d’autres hérédités – en particulier sociales et culturelles – susceptibles d’altérer la spontanéité » de la distribution sociale. D’autre part, les rapports sociaux ne sont pas affectés seulement par les situations économique de départ dans lesquelles se concluent les contrats mais aussi, et plus significativement encore, par les l’ensemble des inégalités plus ou moins acquises dont les individus sont affectés tout au long de leur carrière. Ce qui rend les contrats injustes », c’est l’inégalité même des contractants, et pas seulement celle qui résulte de la transmission héréditaire des biens. En outre, dans un cours sur la famille conjugale professé en 1892, Durkheim montrait déjà l’extrême difficulté qu’il y aurait à supprimer une institution jouant un rôle si efficace de stimulant pour le travail et pour la réussite individuelle20 ! 21 Raymond Boudon, L’Inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Paris ... 13Mais, la suppression de l’héritage assurerait-elle l’égalité des chances, il resterait que l’instauration de cette dernière est loin de constituer une solution efficace à la problématique durkheimienne du maintien de l’ordre social par la loyauté des acteurs. De fait, la distribution naturelle » des talents et des aspirations parmi les individus a bien peu de chances et, pour dire vrai, aucune de correspondre à celle des positions sociales définies par la division du travail. La raison en est fort simple la première de ces distributions est aléatoire tandis que la seconde est donnée » ! Dans ces conditions, comme R. Boudon l’a magistralement et définitivement montré dans ses travaux sur la mobilité sociale21, l’égalisation des chances peut fort bien n’avoir pas les effets méritocratiques attendus et, donc, les effets d’intégration par justice distributive interposée prévus par Durkheim. 22 Alessandro Pizzorno, Lecture actuelle de Durkheim », Archives européennes de sociologie, 1963, IV ... 14Ainsi le bilan de la mise en œuvre durkheimienne de la problématique en termes d’ égalité des chances » apparaît bien précaire – tant au plan des conditions de son application pratique qu’à celui des effets qui en sont attendus. Aussi peut-on, avec un lecteur aussi attentif qu’A. Pizzorno, s’étonner de voir comment une pensée sociologique si pénétrante, après avoir recouru à ce concept d’égalité à un point fondamental et critique du système, oublie de se demander quelle en est la signification sociologique »22. Mais s’agissait-il vraiment d’un oubli ? 23 Émile Durkheim, Le Socialisme, sa définition, ses débuts, la doctrine saint-simonienne [1928], Pari ... 24 Émile Durkheim, Le Suicide. Étude de sociologie [1897], Paris, 1973. Sur cet aspect de l’a ... 15Quelques années plus tard, dans les dernières pages du Socialisme, Durkheim allait en effet apporter une réponse bien différente de la précédente à la question agitée dans le chapitre sur La division du travail contrainte » Ce qu’il faut pour que l’ordre social règne, c’est que la généralité des hommes se contentent de leur sort; mais ce qu’il faut pour qu’ils s’en contentent, ce n’est pas qu’ils aient plus ou moins, c’est qu’ils soient convaincus qu’ils n’ont pas le droit d’avoir plus. […] S’il ne sent pas au-dessus de lui une force qu’il respecte et qui l’arrête, qui lui dise avec autorité que la récompense qui lui est due est atteinte, il est inévitable [que l’individu] réclame comme lui étant dû tout ce qu’exigent ses besoins et, comme dans l’hypothèse ces besoins sont sans frein, leurs exigences sont nécessairement sans bornes »23. Le changement de ton est radical. Ici, les besoins » de l’individus ne sont plus naturellement en rapport avec ses moyens »; ils sont au contraire, comme décrits dans Le Suicide, infiniment extensibles et, de ce fait, insatiables aussi longtemps que l’intériorisation de normes sociales adaptées ne parvient à les réguler et, donc, à créer la possibilité de leur satisfaction24. Comme on peut s’en convaincre par la lecture des textes ultérieurs sur l’éducation, Durkheim vient de marquer qu’il abandonne la solution socio-économique de la question de l’ordre social au bénéfice d’une solution socio-culturelle. 25 Émile Durkheim, Éducation et sociologie [1922], Paris, 1966, p. 91. 16De fait, contrairement à toute attente, la conception durkheimienne de l’éducation ne fait pas de l’institution scolaire un instrument d’égalisation des chances permettant la réalisation d’une distribution sociale méritocratique. Le rôle de l’école est d’abord de répondre à une demande structurelle déterminée en amont du processus éducatif par l’état de la division du travail et, dans ce but, d’y conformer les individus qui lui sont confiés. Elle cherche moins à sanctionner les mérites individuels qu’à produire des individus adaptés aux besoins collectifs, c’est-à-dire à la demande sociale. À cet égard, les propos de Durkheim sont sans ambiguïté Bien loin que l’éducation ait pour objet unique ou principal l’individu et ses intérêts, elle est avant tout le moyen par lequel la société renouvelle perpétuellement les conditions de sa propre existence »25. 26 Pitirim A. Sorokin, Social and Cultural Mobility [1927], Glencoe, Illinois, The Free Press, 1959. V ... 27 Émile Durkheim, Éducation et sociologie, op. cit., p. 41 c’est nous qui soulignons. 17On est donc bien loin de la thèse selon laquelle la seule évaluation des mérites individuels dans une situation d’égalité des chances permettrait de réaliser l’harmonie entre les natures individuelles et les fonctions sociales ». Ici, plus un mot sur l’égalité des chances l’École, qui a pour fonction première comme Sorokin le soulignera plus tard26 de distribuer dans les différentes positions sociales des individus aux caractéristiques appropriées, a donc essentiellement pour charge de leur donner les compétences nécessaires à leur efficacité dans leurs fonctions respectives – bref, à susciter et […] développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné »27. Évidemment, rien n’est dit des raisons pour lesquelles un individu donné serait destiné » à embrasser telle carrière plutôt que telle autre ! Il ne peut plus, en effet, s’agir de goûts ou autres aptitudes innés depuis Le Suicide, le lecteur de Durkheim sait qu’il n’y a d’autre nature humaine » que celle que la société, par la socialisation, crée de toutes pièces en nous. 18Dans cette perspective, il devient alors évident que l’égalité des chances n’a plus grand rôle à jouer. L’essentiel étant de placer les individus convenables là où la société réclame qu’ils soient placés, c’est cette demande » qui doit être satisfaite en priorité – et quelles que soient a priori les exigences de l’offre individuelle. 28 Ce thème, on le sait, occupe une place centrale dans les théories françaises de la reproduction s ... 29 Émile Durkheim, Éducation et sociologie, op. cit., p. 90. 19Mais que devient alors l’impérieuse nécessité de faire en sorte que la généralité des hommes se contentent de leur sort » ? C’est là que l’institution éducative révèle le caractère providentiel de son action – en forme de véritable sociodicée »28. De fait, si le système éducatif joue un rôle fonctionnel d’induction susciter » et de développement des qualités individuelles diverses et variées que requièrent les fonctions créées par la division du travail, il joue aussi, et dans le même temps, un rôle moral de socialisation, d’adaptation et d’intégration de l’individu. S’il parvient à réaliser l’ harmonie » attendue entre ce que les individus sont moralement et ce qu’ils font socialement – entre aspirations et destins individuels –, ne devient-il pas alors assez indifférent que cette distribution sociale résulte d’une situation d’égalité des chances ? Le discours durkheimien est ici sans détour L’homme que l’éducation doit réaliser en nous, ce n’est pas l’homme tel que la nature l’a fait, mais tel que la société veut qu’il soit; et elle le veut tel que le réclame son économie intérieure »29. 20En dernière analyse, Durkheim semble donc avoir estimé que le scandale moral » que constitue l’inégalité des chances serait plus efficacement évité en préparant les individus à ce qu’ils seront et ce qu’ils seront reproduira sans doute ce qu’ils sont, c’est-à-dire leur origine sociale… qu’en leur permettant de devenir ce qu’ils ont la capacité, la volonté ou le goût d’être. Cela expliquerait en effet, d’une part, la précarité de la réflexion de notre auteur sur les conditions de l’égalisation des chances sociales et, d’autre part, l’accent mis par celui-ci sur le rôle essentiellement socialisateur et intégrateur de l’institution scolaire, au détriment de son rôle de promotion sociale des individus. 21La raison d’une telle évolution tient sans doute au fait que, dans cette œuvre de jeunesse qu’est La Division du travail social, le paradigme durkheimien n’est pas encore entièrement élaboré. Et ce sont ces incomplétudes qui, sans doute, ont conduit Durkheim à se fourvoyer dans des pistes de recherches dont il a dû constater trop tard qu’elles conduisaient à des impasses. Si la thèse selon laquelle les conflits sociaux ont leur source essentielle dans l’illégitimité de l’ordre social ce n’est pas la nature objective des rapports sociaux qui risque rompre le consensus mais le caractère défavorable de la perception qu’en ont les acteurs reste inchangée, Durkheim est rapidement passé d’une conception selon laquelle cette légitimité pouvait être obtenue par l’organisation démocratique du système social à une conception plus radicale pour laquelle le même résultat serait plus efficacement atteint par l’inculcation systématique et institutionnalisée de valeurs et de normes – bref, d’une solution socio-économique à une solution socio-culturelle. Haut de page Notes 1 Philippe Besnard, Les pathologies des sociétés modernes », in Ph. Besnard, M. Borlandi et P. Vogt Éd., Division du travail et lien social. Durkheim un siècle après, Paris, 1993, pp. 197-198 passim. 2 Le texte qui suit est partiellement repris et adapté de Charles-Henry Cuin, Durkheim et l’inégalité sociale les avatars et les leçons d’une entreprise », Recherches sociologiques, 223, 1991, pp. 17-32. 3 Émile Durkheim, De la division du travail [1893], Paris, 1973. Il s’agit du chapitre II du Livre III, intitulé La division du travail contrainte ». 4 Ibid., p. 369. 5 Ibid., p. 368. 6 Ibid., p. 370. 7 Voir Philippe Besnard, L’Anomie; ses usages et ses fonctions dans la discipline sociologique depuis Durkheim, Paris, 1987. 8 Ibid., p. 356. 9 Ibid., p. 369. 10 Ibid., p. 369. 11 Émile Durkheim, La Science sociale et l’action, Textes réunis et présentés par Jean-Claude Filloux, Paris, 1970, p. 24. 12 Au même moment, dans la première tradition sociologique nord-américaine, ces deux options opposées sont respectivement défendues par Sumner What Social Classes Owe to Each Other, New York, Harper Brothers, 1883 et par Ward La différenciation sociale et l’intégration sociale une utopie sociologique, Paris, 1903. Voir Charles-Henry Cuin, Les Sociologues et la mobilité sociale, Paris, 1993. 13 Émile Durkheim, De la division du travail, Op. cit., p. 371. 14 […] les progès de la division du travail impliquent […] une inégalité toujours croissante […] », Ibid., p. 371. 15 Ibid., p. 370. 16 Ibid., pp. 371-372. 17 Émile Durkheim, De la division du travail, op. cit., p. 371. 18 Ibid., p. 377. 19 Ibid., p. 378. 20 Émile Durkheim, La famille conjugale » [1892], in Textes 3. Fonctions sociales et institutions, Paris, Minuit, 1975, p. 47. 21 Raymond Boudon, L’Inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Paris, A. Colin, 1973. 22 Alessandro Pizzorno, Lecture actuelle de Durkheim », Archives européennes de sociologie, 1963, IV, pp. 1-36. 23 Émile Durkheim, Le Socialisme, sa définition, ses débuts, la doctrine saint-simonienne [1928], Paris, 1971, p. 227. 24 Émile Durkheim, Le Suicide. Étude de sociologie [1897], Paris, 1973. Sur cet aspect de l’analyse durkheimienne, voir Cuin, Durkheim et la mobilité sociale », Revue française de sociologie, 1987, XXVIII, 1, pp. 43-65. 25 Émile Durkheim, Éducation et sociologie [1922], Paris, 1966, p. 91. 26 Pitirim A. Sorokin, Social and Cultural Mobility [1927], Glencoe, Illinois, The Free Press, 1959. Voir également Charles-Henry Cuin, Sorokin et le Social Mobility’ de 1927 naissance et mise en œuvre d’une problématique sociologique », L’année sociologique, 38, 1988, p. 275-308. 27 Émile Durkheim, Éducation et sociologie, op. cit., p. 41 c’est nous qui soulignons. 28 Ce thème, on le sait, occupe une place centrale dans les théories françaises de la reproduction sociale » Voir Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction; éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Ed. de Minuit, 1970 et Christian Baudelot et Roger Establet, L’École capitaliste en France, Paris, Maspero, 1971. 29 Émile Durkheim, Éducation et sociologie, op. cit., p. de page Pour citer cet article Référence papier Charles-Henry Cuin, Division du travail, inégalités sociales et ordre social. Note sur les tergiversations de l’analyse durkheimienne », Revue européenne des sciences sociales, XLII-129 2004, 95-103. Référence électronique Charles-Henry Cuin, Division du travail, inégalités sociales et ordre social. Note sur les tergiversations de l’analyse durkheimienne », Revue européenne des sciences sociales [En ligne], XLII-129 2004, mis en ligne le 05 novembre 2009, consulté le 24 août 2022. URL ; DOI de page Auteur Charles-Henry Cuin Université Victor Segalen – Bordeaux Articles du même auteur Paru dans Revue européenne des sciences sociales, 49-2 2011 Paru dans Revue européenne des sciences sociales, XXXIX-120 2001 Paru dans Revue européenne des sciences sociales, XL-124 2002 Haut de page Droits d’auteur Tous droits réservésHaut de page

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